Sweet Mambo, de Pina Bausch, est actuellement donné par les danseurs du Tanztheater de Wuppertal au Théâtre de la Ville. Une leçon de virtuosité à ne pas manquer.
On a peur, très peur pour l’avenir des ouvrages de Pina Bausch, pour la sauvegarde du répertoire du Tanztheater de Wuppertal jusque-là magnifiquement préservé par les disciples de la chorégraphe allemande. Après les lamentables représentations parisiennes, l’an dernier, d’un « Café Müller » vidé de tout sens, dénaturé par des interprètes qui étaient des ectoplasmes (les hommes surtout), à l’exception notable d’une danseuse russe qui relevait le rôle alors porté par deux figures mythiques de la compagnie, l’Australienne Meryl Tankard et l’Espagnole Nazareth Panadero ; plus encore après cette imposture qu’est « Liberté Cathédrale », produite sous le nom du Tanztheater par celui qui en a été nommé le nouveau directeur, et dont la seule présence à la tête de la troupe représente une hérésie, on pourrait croire effectivement à la ruine de la compagnie.
Mais grâce à de fortes personnalités, au talent éblouissant de danseuses-comédiennes « historiques » comme Nazareth Panadero, Héléna Pikon, Julie Shanahan ou Julie Anne Stanzak qui sont aujourd’hui des icônes dont l’aura confine au sublime, « Sweet Mambo », qui se donne au Théâtre de la Ville, où on l’avait déjà vu en 2009, échappe à la malédiction. Les danseurs de Pina Bausch résistent avec conviction à l’épreuve qui leur est infligée, résistent de toute la force de leur savoir et de leur foi. Il est vrai que sur les dix interprètes de « Sweet Mambo », sept ou huit appartiennent aux générations qui ont travaillé sous le charme de Pina Bausch. Et parmi les « nouveaux », il y a des découvertes surprenantes : la flamboyante Naomi Brito qui s’est glissée dans le répertoire bauschien avec un chic, une aisance diabolique, et ce remarquable danseur qu’est Reginald Lefebvre qui lui aussi s’intègre avec bonheur à un travail si puissant, si particulier, qu’il est difficile de s’y mesurer.
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« Sweet Mambo » n’est pas à ranger parmi les chefs-d’œuvre de Pina Bausch. Cette pièce n’en a ni la portée, ni la profondeur. Ponctuée de scènes, de tableaux fascinants, elle est toutefois magnifique, même si elle s’étire et se répète à l’excès avec de subtiles variantes.
Elle vaut surtout, peut-être, pour l’interprétation qu’en donnent ces fidèles. Mais quand ceux-ci se seront définitivement retirés de la scène, tant les séquences exigent une virtuosité physique terriblement difficile à soutenir, qu’en sera-t-il de ce répertoire qui a bouleversé toute la fin du XXe siècle ? Les danseurs historiques ont maintenu jusque-là magnifiquement l’esprit et la lettre des œuvres majeures de Pina Bausch. Ils sont même parvenus à les transmettre à des compagnies aussi éloignées de son univers que le Ballet de l’Opéra de Paris qui portait il y a peu à son répertoire un chef-d’œuvre comme « Kontakthof » avec une intelligence et une sensibilité inattendues. Mais quand ces générations qui ont servi avec tant de ferveur ce Saint Graal, quand ces générations se seront effacées, qu’adviendra-t-il de l’univers de Pina Bausch alors que rien n’est plus fragile que les chefs-d’œuvre et quand des individus, à commencer par des proches de Pina Bausch, sont prêts à les trahir ?
À voir :
« Sweet Manbo » de Pina Bausch, avec le Tanztheater de Wuppertal. Théâtre de la Ville, jusqu’au 7 mai. www.theatredelaville-paris.com