Quid après le tremblement de terre financier? Ces derniers jours, la planète finance a tremblé. Les secousses étaient de plus en plus rapprochées ces derniers mois. Faillite de FTX en novembre, bien sûr. Et, rien que sur ces 10 derniers jours, défaut d’un fond de créances d’immobilier commercial du géant Blackstone, faillite de la banque Silvergate Capital et enfin de SVB!
La semaine dernière, la 16ème banque américaine, aux 200 milliards de dollars d’actifs, la Silicon Valley Bank (SVB) a fait faillite, en seulement deux jours ! La banque restait solidement bénéficiaire, son cours en bourse restait à un bon niveau. Mais en deux jours, le cours de l’action s’est soudainement effondré, et les clients effrayés du risque de perte de l’argent stocké dans leur compte en banque ont retiré 40 milliards de dollars en une journée.
Le risque bancaire qui surgit instantanément a quelque chose d’inquiétant. D’où vient le problème?
SVB, qui avait comme clients la crème de la Silicon Valley, avait acheté 120 milliards d’obligations du Trésor américain et d’obligations privées. Avec la hausse des taux d’intérêt nécessaire amorcée par la banque centrale américaine (la FED), pour contrer l’inflation, ces 120 milliards de dollars d’obligations dont le risque de taux n’était pas couvert, se sont massivement dépréciés. SVB avait une perte latente (c’est-à-dire non reconnue comptablement) de 15 milliards de dollars. C’est ce qui a mis le feu aux poudres et provoqué le « bankrun ». Le fond d’assurance des dépôts, le FDIC, a alors passé la banque sous sa tutelle. Il a garanti que les déposants assurés recouvreront l’ensemble de leurs avoirs ce lundi (comptes bancaires en dessous de 250 000 dollars). Mais les gros déposants non assurés risquent de perdre une partie de leurs avoirs lors de la liquidation de la banque, à moins que la banque ne soit revendue entre temps à un gros poisson…
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Beaucoup de banques américaines ayant le même problème de portefeuille d’obligations et le même problème de fuite des clients ont vu leur cours de bourse s’effondrer mercredi. La panique bancaire est alors devenue générale. Des baisses de 10% sur BNP Paribas, Société Générale, ou le géant Crédit Suisse – une banque systémique « trop grosse pour faire faillite », dont l’avenir semble incertain depuis six mois, et a alors basculé au bord de la banqueroute. Il faut dire que Crédit Suisse est impliqué dans tous les scandales financiers depuis quelques années (faillite du fond Archego qui a coûté 5 milliards de dollars à la banque, faillite de Greenshill au Royaume-Uni avec un coût de 10 milliards de dollars, amendes aux États-Unis pour 5 milliards de dollars pour des fautes commises lors de la crise des subprimes etc.). L’assurance-crédit à un an sur Crédit Suisse a coûté plus de 20% du capital, les autres institutions financières achetant en catastrophe des protections contre la faillite de Crédit Suisse dans un mouvement de panique ! La banque ne pouvant plus se financer auprès des autres banques a alors reçu une aide d’urgence de la banque nationale suisse, jeudi soir, sous forme de prêt de 50 milliards de francs suisse. Si Crédit Suisse s’effondre, toutes les banques ayant des prêts sur la banque suisse risquent de perdre leur chemise et de s’effondrer à leur tour en cascade. Les marchés financiers occidentaux risquent alors l’effondrement généralisé suivi par un effondrement des économies occidentales. Que dire du risque pris et à prendre par la Suisse quand les actifs de Crédit Suisse sont évalués à 1300 milliards de dollars soit 1,5 fois le PIB Suisse !
Parallèlement, sur le marché bancaire américain, les actions des banques régionales se sont mises à s’effondrer avec une division par quatre des actions de First Republic Bank, Pacific Western Bank et Western Alliance Bancorp. La First Republic Bank, fleuron du secteur bancaire américain et financier du gotha californien a alors été placée en catégorie spéculative par une agence de notation. Même les grandes banques américaines et européennes ont vu leur coût d’emprunt augmenter fortement, ce qui est le signe incontestable d’une crise systémique bancaire occidentale. Dire qu’il y a un an, les dirigeants des pays occidentaux voulaient mettre l’économie et la finance russe à genoux avec un régime de sanctions ! Nos pays voient l’effet des sanctions sur les hydrocarbures russes revenir en boomerang: c’est l’accélération de l’inflation et la hausse des taux qui s’est ensuivie qui provoque ce début d’effondrement financier.
15 ans après la crise des subprimes qui ébranla le monde économique et financier en 2008, nous en sommes donc au même point. On rappellera que les banques européennes et américaines avaient été sauvées à coup de milliers de milliards de garanties par les Etats et des taux à 0% pour leur assurer un refinancement gratuit. Depuis 15 ans, ces taux à 0% assurent la fortune des grandes entreprises et des ultra riches, qui empruntent à 0 voire à taux négatif pour acheter tous les actifs rentables. Ces actifs (entreprises, terres agricoles, immobilier des grandes métropoles, bourses, tableaux…) qui montent au ciel puisque les taux 0 ont poussé les détenteurs de capital à spéculer, l’argent ne coutant rien.
Pourquoi avons-nous vécu 10 ans en régime de taux 0?
Nous avons vécu 10 ans à taux 0 car les économies occidentales étaient tout simplement si fragiles qu’elles étaient incapables de supporter des taux plus élevés. La perte de richesse dans l’économie réelle avec le basculement industriel du monde vers l’Asie ne laissait à l’Occident que deux choix : arrêter cette politique économique libre-échangiste qui l’appauvrit ou masquer l’appauvrissement en créant de la richesse financière. C’est la deuxième solution qui a été pour l’instant choisie. Elle implique l’accumulation de dette et la hausse ininterrompue du prix des actifs en Occident. Tant que cette solution sera choisie, le niveau des dettes et les risques d’effondrement financier augmenteront.
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Quelle solution a été trouvée?
Les autorités américaines et suisses ont paré au plus pressé. La Suisse a temporairement sauvé Crédit Suisse mais la banque reste un canard boiteux en grande difficulté. Les autorités américaines ont mis en place un plan de sauvetage bancaire original. La banque centrale américaine financera, via un programme appelé BFTP, les banques par de nouveaux prêts à un an d’argent public avec un taux très faible : le taux de l’Etat américain plus 0,1%. Cela ne suffisant pas, les plus grandes banques américaines vont financer la banque régionale First Republic Bank pour 30 milliards de dollars ! Une générosité inhabituelle chez les grandes banques.
Il est difficile d’y voir clair et d’affirmer que la crise financière est terminée. La banque centrale américaine a colmaté les brèches avec son plan BFTP qui permettrait de financer jusqu’à 2000 milliards de dollars les banques américaines. Dans ces périodes troublées, de nouveaux problèmes financiers peuvent cependant surgir d’un peu partout : l’immobilier commercial, les fonds de LBO (achat d’entreprises par endettement), le financement des start-ups et des licornes… Après 15 ans de taux très bas et de prise de risque maximale, les problèmes apparaissent.
Dilemme cornélien
Les pays occidentaux sont face à un dilemme cornélien. S’ils sauvent comme en 2008 le système financier en utilisant la planche à billets (la pente naturelle qu’ils suivent), l’inflation nourrie par la création de monnaie reprendra de plus belle, menaçant alors un peu plus le système économique et financier occidental dans quelques années. S’ils ne sauvent pas le système financier, toute l’économie occidentale risque une crise d’une grande violence. Il y aurait bien une troisième voie mais elle implique un changement radical de politique économique et financière que nos gouvernements ne prendront pas aujourd’hui : il s’agit d’un sauvetage suivi d’une politique de type New Deal qu’avait mis en place Roosevelt après la grande dépression. Quant aux épargnants qui pourraient bien être lésés, la meilleure solution qu’ils ont est d’acheter de l’or pour se prémunir des risques grandissants sur leur épargne.