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La Divine des courts

"La Divine" de Gianni Clerici – Viviane Hamy éditions


La carrière de Suzanne Lenglen, égérie du tennis français, racontée par Gianni Clerici


Sur des images saccadées de l’époque, semblables à un film de Chaplin, elle apparaît avec sa longue robe blanche et son bandeau qui deviendra sa signature visuelle. On sourit idiotement des balbutiements d’un tennis féminin à mi-chemin du loisir bourgeois et de l’exercice physique réservés aux femmes du monde.

Le jeu de paume ne semble pas si lointain, la sueur et les larmes n’ont pas encore leur place sur les courts de terre battue et d’herbe tondue. Nos yeux habitués aux frappes lourdes et aux déplacements véloces regardent, amusés, presque rigolards, ces sportives des années 1920 comme les photos jaunies de nos grands-parents, avec lassitude et un brin de dédain. Notre progressisme benêt nous tuera. Et puis, nous devons bien l’admettre, très vite, nous sommes fascinés par la rapidité d’exécution, la précision des coups, l’anticipation des déplacements et la psychologie féroce.

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Le tennis est une partie d’échecs où la tête et les jambes ne doivent pas flancher. Parmi ces premières joueuses à fouler un circuit amateur, une figure tutélaire se détache. On la surnomme « La Divine ». C’est une française, une parisienne élevée en Picardie dans la propriété de Marest-sur-Matz, près de Compiègne. Elle s’appelle Suzanne Lenglen (1899-1938). Si, par hasard, vous vous demandez pourquoi la Fédération Française de Tennis a donné son nom à un stade de plus de 10 000 places sur le site de Roland-Garros, il suffit de voir les reportages filmés du temps de sa splendeur et d’apprécier son corps en mouvement permanent. Ses bras nus choquèrent, paraît-il. Son décolleté interrogeait les bonnes mœurs, la belle affaire. La moindre parcelle de peau dévoilée à l’insu de son plein gré suscitait les commentaires désobligeants ou admiratifs. Les amateurs d’érotisme risquent d’être sincèrement déçus.

Volées plongeantes

Le spectacle que nous offrait Suzanne était d’une pudibonderie flirtant avec le jansénisme. Par contre, son jeu toujours vif, parfaitement chorégraphié et intelligemment construit, ravira les spécialistes du genre. Il y a de la fluidité et de la force dans l’air. Elle a inventé le tennis moderne par sa rigueur d’entraînement et son aura planétaire.

Admirez son service tout en souplesse et ses coups exagérément armés, comme les professeurs l’apprenaient dans les écoles jusque dans les années 1970, on accompagnait chaque geste jusqu’à tendre sa jambe, le pied pointu comme une danseuse de ballet. Et quand elle montait au filet, ses volées plongeantes nous rappellent un certain Yannick Noah en 1983. Lenglen maîtrisait toute la panoplie du tennis, et face à des adversaires parfois beaucoup plus robustes, elle pouvait compter sur sa légèreté et son impulsivité.

Mohamed Ali n’a rien inventé, il lui a tout piqué ! Elle fut la première professionnelle à vivre de sa discipline, à traverser l’Atlantique, à intéresser les organisateurs et les équipementiers financièrement, à poser en égérie de la publicité et à pratiquer son activité devant des milliers de spectateurs payants. Avant que ne finissent les Internationaux de France 2021, Porte d’Auteuil, il est utile de se replonger dans l’histoire de notre gloire nationale.

Championne du monde à quinze ans

Il n’y a pas que Napoléon et Mitterrand au programme du mois de mai. Gianni Clerici, journaliste italien, 90 printemps et presque autant d’années à suivre les tournois du Grand Chelem, croisement entre Jean-Paul Loth et le regretté Patrice Dominguez a écrit « La Divine » en 2002, son ouvrage de référence vient enfin d’être traduit en français et publié chez Viviane Hamy. Et là, on tombe de la chaise du juge-arbitre tant Suzanne Lenglen a tout inventé et démocratisé ce sport de la haute société. En 1914, elle est déjà championne du monde sur terre battue à quinze ans à peine alors que son père, Charles, lui a offert sa première raquette, quatre ans seulement auparavant. Ce phénomène est un bourreau de travail, son père ne la lâche pas d’une semelle et lui impose un entraînement de titan car, ironie de l’histoire, la recordwoman inégalée avec 241 titres à son palmarès est de santé fragile. « Tu dois t’entraîner plus intensivement » lui répète ce père aimant et despote.

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On connaît la chanson depuis. Les sœurs Williams et tant d’autres n’ont pu goûter aux délices de la victoire qu’après d’immenses sacrifices. Là aussi, Suzanne est précurseur. Invaincue, adulée, jalousée, exténuée et combattante, elle a montré la voie, celle du tennis comme un métier à part entière. Clerici revient sur tous les grands moments de sa carrière, son abandon à Forest Hills en 1921 contre Mallory, le « Match du siècle » de 1926 qui a assis sa légende face à Helen Wills et ses succès à Wimbledon. Elle fut d’abord célèbre à Londres. « Jusque-là, le phénomène Lenglen avait été plus anglais que français. On avait pu voir à Londres me racontait Lacoste, des publicités sur des autobus annonçant l’arrivée de la diva. C’était pour contenir ses admirateurs qu’on avait construit un Central de quatorze mille places. Et quand la reine Mary, passionnée de tennis, se rendait à un match, deux fois sur trois c’était pour voir jouer Suzanne » écrit Clerici.

« C’est Suzanne qui a tout fait »

Nos « Quatre mousquetaires » (Borotra/Brugnon/Cochet/Lacoste), détenteurs de la Coupe Davis entre 1927 et 1932, lui doivent tout. « Il est certain que c’est Suzanne qui a tout fait. C’est à elle que nous devons toutes nos victoires » affirmait Borotra. Cette biographie vaut aussi pour le parfum de ces années-là et la fréquentation des gens célèbres, Suzanne a connu les rois et les reines, voyageait sur le paquebot France, passait ses hivers sur la Côte d’Azur et comptait parmi ses amis proches le photographe Jacques-Henri Lartigue, le navigateur Alain Gerbault ou le couturier Jean Patou.

La Divine de Gianni Clerici – Viviane Hamy éditions.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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