Vivre-ensemble. En garde à vue pour meurtre, l’automobiliste du Boulevard Malesherbes accuse le cycliste qu’il a écrasé mardi de l’avoir « terrorisé ».
Mardi, en fin d’après-midi, à Paris, Boulevard Malesherbes, alors que, à cette heure, la circulation est particulièrement dense et donc la cohabitation auto-vélo encore plus tendue qu’en heure creuse, un différend oppose Paul, cycliste de vingt-sept ans, et le conducteur d’une voiture. À dire de témoins et selon ce que montre la vidéo surveillance, ce dernier aurait délibérément écrasé le jeune homme, lui roulant dessus et le tuant. La bêtise dans toute son horreur. Or, que conduisait cet assassin sur roues ? Un SUV, la bête noire de Madame Hidalgo et de sa très fine équipe. La levée de boucliers ne se fait pas attendre. Le coupable, on le tient. Et il devra payer, passer en jugement, être condamné au bûcher en place de Grève, pratiquement sous les fenêtres de la mairie de Paris. Ah, le beau, le salutaire spectacle !
Le coupable, le SUV, bien sûr, l’engin diabolique, honni, contre quoi on mène une obsessionnelle croisade dans ces murs. Ian Brossat, ex-adjoint communiste à la mairie de Paris et actuellement sénateur, y va de son couplet bien-pensant : « En milieu urbain, la présence du SUV représente un danger pour les piétons, les cyclistes et même pour les autres conducteurs. » Et David Belliard, adjoint écologiste au transport de surenchérir, réaffirmant la sacro-sainte doctrine mise en œuvre ces dernières années : « Réduire encore, encore et encore la place de la voiture». Cela vaut pour Paris aujourd’hui, en attendant plus et mieux demain, bien sûr. Mme Hidalgo elle-même y est allée de son commentaire, livrant un de ces propos éclairés dont elle n’est pas avare: « C’est inacceptable de mourir aujourd’hui à Paris, à vingt-sept ans en faisant du vélo. Ces actes doivent être condamnés sévèrement. » On le constate, ça ne rigole pas ! Cependant, on voudra bien ne pas s’appesantir sur le fait que la formulation laisse quand même à désirer. À prendre le propos au pied de la lettre on serait fondé à se demander si ce ne serait pas l’acte de mourir à vingt-sept ans à Paris en faisant du vélo qui devrait être condamné sévèrement. On espère se tromper. Passons. Cela dit, la formulation de l’appel à la votation du 4 février dernier ne brillait pas non plus par sa clarté. « Plus ou moins de SUV à Paris ? » lisait-on sur les affiches. Poser la question en ces termes, c’était évidemment y répondre. D’ailleurs, la votation n’a soulevé qu’un enthousiasme des plus modérés. Sur un million trois cent mille inscrits, seuls soixante-dix huit mille Parisiens se sont déplacés. Les autres, sans doute, étaient-ils occupés à se délier le mollet au Bois. Ainsi, même ardemment soutenue par le lobby de la pince à vélo, l’affaire ne fit pas recette.
Le coupable, le SUV, disais-je, et non pas le fou furieux au volant, l’assassin motorisé ! Pas plus qu’une Kalachnikov ne flingue toute seule, ne lâche d’elle-même sa rafale, pas plus une auto, puissant SUV ou bringuebalante dodoche, n’écrase son monde sans personne au volant. Le réel est bien là. Mais voir et analyser le réel, pour les exaltés de l’idéologie, c’est quasiment mission impossible. On le voit une fois encore. Ainsi, dans la logique de Madame Hidalgo, et selon son souhait, nous devrions nous attendre à ce que le SUV assassin passe en justice et soit sévèrement châtié. Quinze ou vingt ans de fourrière, je présume ? Peine incompressible, espère-t-on. Quant à la préconisation de l’adjoint Belliard – réduire encore, encore et encore la place de la voiture – si elle devait aboutir et que seuls les cyclistes et piétons aient droit de cité à Paris, enfin purgée de ces enfoirés de banlieusards, de provinciaux à quatre roues, Madame Hidalgo aurait réussi à instaurer en France, en sa capitale, le plus formidable système d’apartheid qu’on puisse imaginer. Chapeau bas ! Applaudissements nourris, je vous prie !