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La Dame de glace: la botte secrète de Donald Trump

Susie Wiles, la femme de l’ombre derrière l’incroyable comeback du président américain


La Dame de glace: la botte secrète de Donald Trump
Chris LaCivita et Susie Wiles, Washington, août 2023 © Alex Brandon/AP/SIPA

Susie Wiles se caractérise par son calme inébranlable. Pour servir l’impayable Donald Trump dans sa reconquête du pouvoir, ce n’était pas inutile ! Après avoir autrefois travaillé pour Ron DeSantis, puis avoir travaillé contre lui, au service de Trump, elle vient d’être nommée le prochain chef de cabinet de la Maison-Blanche. Portrait.


Comment expliquer le comeback improbable de Donald Trump ? Comment cet homme a-t-il vaincu le Parti démocrate de manière si écrasante, lui qui a été battu par Joe Biden en 2020, lui dont le nom est associé aux émeutes du 6 janvier 2021, lui contre qui de très nombreuses procédures ont été engagées et qui a fait l’objet d’un matraquage médiatique cherchant à l’assimiler à un véritable dictateur mussolinien voire hitlérien ? Certes, un élément important de la réponse réside dans le caractère résolu, la force de volonté indomptable et la personnalité charismatique du président américain élu. Mais un autre élément s’incarne dans une grand-mère de 67 ans, sorte de femme de l’ombre aux cheveux gris, qui était présente sur scène lors du discours de victoire de Donald Trump le 6 novembre. Il s’agit de Susie Wiles, la co-directrice de sa campagne présidentielle, avec Chris LaCivita. Autant Wiles se montre d’une efficacité redoutable comme cadre politique, autant elle s’évertue à rester discrète. En cela, elle est aux antipodes non seulement de l’homme politique qu’elle sert, mais aussi de l’homme en charge de la dernière phase de la campagne qui a conduit Donald Trump à la victoire en 2016, à savoir le sulfureux Steve Bannon.

Calme inébranlable

En s’adressant à ses supporteurs au siège de sa campagne en Floride, Trump a remercié les co-directeurs de sa campagne et essayé de braquer momentanément les projecteurs sur Wiles : « Venez Susie, venez ici […] Susie aime en quelque sorte rester dans les coulisses. […] La Dame de glace, nous l’appelons la Dame de glace ».


Mme Wiles vient effectivement sur le devant de la scène, mais reste obstinément muette avant de se reprendre sa place derrière, là d’où elle a dirigé la campagne du futur 47e président. Son surnom, « la Dame de glace » – the Ice Maiden – souligne son calme inébranlable, son imperturbabilité, sa capacité à rester la maîtresse de toute situation – des qualités indispensables dans une campagne présidentielle, surtout quand le candidat est le très mercuriel Donald Trump. Une partie de son secret résiderait dans son approche qui cherche à aider Trump au lieu de le diriger, car Trump n’aime rien tant que sa propre autonomie. En même temps, son sang-froid et sa rigueur compensent la conduite souvent imprévisible, voire désordonnée du milliardaire. Enfin, selon un portrait de Wiles brossé par la revue Politico au mois d’avril, elle possède une gamme de compétences et d’atouts qui inspire autant la peur que l’admiration dans le milieu politique aux Etats-Unis.

Née dans l’état du New Jersey, elle est la fille d’un professionnel du football américain, Pat Summerall, qui est devenu par la suite un commentateur sportif de légende. L’alcoolisme de ce père difficile aurait déjà préparé Wiles à savoir gérer des hommes imprévisibles. Elle commence sa carrière dans le milieu politique dans les années 1980, travaillant même pour la première campagne présidentielle de Ronald Reagan. Dans les années 1990 et 2000, elle travaille surtout pour différents maires de Jacksonville, la ville la plus peuplée de Floride. En 2010, elle gère la campagne de Rick Scott qui, contre toute attente, se fait élire gouverneur de Floride en dépit du fait qu’il est un homme d’affaires avec peu d’expérience politique et peu de soutiens au sein du Parti républicain. L’année suivante, elle prend la direction de la campagne présidentielle de Jon Huntsman, un ancien gouverneur de l’Etat d’Utah et ambassadeur en Chine. Huntsman finit par se retirer en faveur de Mitt Romney, mais Wiles consolide son expérience de la gestion politique de haut niveau.

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C’est en 2015 qu’elle rencontre Donald Trump pour la première fois. Convoquée à la Trump Tower, elle trouve que le milliardaire lui a réservé un siège… à six mètres du sien. Toujours imperturbable, elle se lève, prend sa chaise et vient s’asseoir juste devant lui. Elle est favorablement impressionnée par Trump et c’est apparemment réciproque puisque, en 2016, il la recrute pour diriger sa campagne dans l’Etat pivot de Floride. Le triomphe de Trump dans le « Sunshine State » (l’État ensoleillé) est une étape essentielle de sa première victoire à l’élection présidentielle.

Les talents considérables de Susie Wiles ne sont plus un secret pour personne. Elle excelle autant dans la stratégie que dans l’organisation et l’exécution, ainsi que dans la levée de fonds. Elle a développé et entretient un réseau étendu et dense de contacts dans les milieux politiques et journalistiques. Elle sait exploiter les médias afin de gérer les informations et de créer des récits – ou comme on dit de nos jours, des « narratifs » – ultra-efficaces. Sur son profil LinkedIn, elle met en avant sa capacité à « créer l’ordre à partir du chaos » et à « retourner les situations et les perceptions ». Ces compétences ont bien servi Donald Trump.

En 2018, ce dernier l’envoie aider le candidat républicain Ron DeSantis à se faire élire comme gouverneur de Floride. Sitôt dit, sitôt fait. Le nouveau gouverneur est tellement impressionné qu’il l’adoube « the best in the business » (la « meilleure de sa profession »).

Pourtant, la reconnaissance de DeSantis ne fait pas long feu. L’année suivante, il la renvoie afin – dit-on – d’installer ses propres agents dans les postes clés de son administration. Il essaie même de persuader Donald Trump de la laisser tomber. Divorcée en 2017, la trahison de De Santis est vécue par Wiles comme un traumatisme. Elle dira plus tard que travailler pour lui était « la plus grande erreur de ma carrière ». En tout cas, pour DeSantis se débarrasser de Mme Wiles était la plus grande erreur de la sienne.

Devenue indispensable depuis 2021

Car le président Trump a grand besoin de sa Susie. Lors de l’élection de 2020, elle l’aide à gagner de nouveau en Floride, qui sera le seul des Etats pivot qu’il gagnera cette fois. Après la défaite face à Biden, Trump la nomme, en mars 2021, PDG de son Comité d’action politique dont l’objectif est de lever des fonds non seulement pour financer ses campagnes et mais aussi payer les frais des différents procès intentés contre lui. Elle devient vite le plus indispensable de tous ses conseillers. Et c’est là que l’heure de sa revanche à elle sur DeSantis va sonner ! Car le gouverneur de Floride, fort de ses actions contre les différentes manifestations du wokisme, se pose en rival de Trump pour la nomination républicaine. Prenant en charge la campagne présidentielle de Trump début 2023, Mme Wiles connaît bien les points faibles de DeSantis. Manipulant les informations de main de maître, alimentant la presse avec une grande subtilité de messages négatifs, elle commence à miner toutes les positions du gouverneur. Ce dernier était connu pour manger du pudding avec ses doigts. Or, surnommé initialement par les médias « DeFuture », un véritable homme d’avenir, il a fini par être qualifié de « pudding fingers », suggérant quelqu’un de maladroit, voire d’incompétent. La voie royale était désormais ouverte pour la candidature de Trump. Nul doute que, à travers les hauts et les bas de sa campagne face à Kamala Harris et à la machine démocrate qui domine la plupart des médias, la main sûre de la grand-mère imperturbable a déblayé la route pour Trump.

Au cours de cette campagne, on a souvent accusé le milliardaire d’être sexiste. Un autre milliardaire, Mark Cuban, acquis à la cause progressiste, a affirmé que Trump a peur de s’entourer de « femmes fortes et intelligentes ». Pour une fois, Susie Wiles est sortie de sa réserve pour poster sur X : « On me dit que Mark Cuban a besoin d’aide pour identifier femmes fortes et intelligentes dans l’entourage du président Trump. Eh bien, nous voici ! »

Pour souligner le contraste entre elle et son prédécesseur, Steve Bannon, homme d’action fort en gueule, proche des extrémistes de l’alt-right, ce dernier est sorti de prison une semaine avant l’élection. Il avait été incarcéré pendant quatre mois pour avoir refusé une convocation de la Commission spéciale de la Chambre des représentants sur l’attaque du 6 janvier 2021. Dès sa libération, M. Bannon a repris le vieux message trumpiste d’il y a trois ans en renforçant encore la surenchère rhétorique grossière. S’adressant à Biden, à Harris, aux médias, au département de Justice et au FBI, il a vociféré : « Vous autres, vous êtes des nuls, OK ? Et maintenant vous allez payer le prix pour avoir essayé de détruire ce pays ». Aujourd’hui, Bannon fait figure d’homme d’une autre époque. Il incarne une rage et une fureur trumpistes qui semblent dépassées aujourd’hui. Susie Wiles vient d’être nommée chef de cabinet (« chief of staff ») du prochain locataire de la Maison blanche. Qui sait ? Le second mandat du président Trump sera au premier ce que sa nouvelle conseillère en chef est à son ancien conseiller. On peut du moins l’espérer.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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