Reconnaissance faciale, tracking anti-coronavirus, drones… voici comment nos libertés s’effritent de jour en jour, piétinées pas à pas par l’empreinte numérique et son cortège d’ingérences. Peut-on encore en sortir?
On pensait avoir atteint les sommets du flicage intrusif en découvrant la généralisation des vérifications d’identité en Chine par reconnaissance faciale. On était resté pantois lorsque l’administration locale avait mis au point son programme de « crédit social » – ces notes, bonnes ou mauvaises, décernées aux citoyens en fonction des informations collectées sur les réseaux sociaux et les caméras de surveillance. On avait vacillé en prenant connaissance du projet d’appli sur smartphone de traçage numérique destiné à connaître nos déplacements pendant la crise du coronavirus (Il sera d’ailleurs discuté prochainement à l’Assemblée Nationale). On se disait égoïstement que tout ça n’était pas bien grave, car ça n’arriverait jamais chez nous. C’était bon pour les Chinois et pour les peuplades qui marchent à l’envers – ou cul par-dessus tête – de l’autre côté du globe. On se disait qu’en France, dans notre bon pays latin au passé ô combien libertaire et révolutionnaire, on saurait s’adapter en protégeant notre irrévérence maladive, chevillée au corps. Et surtout, notre merveilleux bon sens légendaire.
Castaner a déployé ses drones pour vous fliquer
On avait fichtrement tort ! Il y a quelques jours, au beau milieu de la crise, le Ministre de l’Intérieur a annoncé discrètement par le biais de son Bulletin Officiel, une commande de 4 millions d’euros pour l’achat de drones. Ils viendront équiper la police, la gendarmerie et la protection civile qui en possèdent déjà quelques poignées. Ces objets volants commandés à distance surveillent déjà depuis plusieurs jours les plages de Nice, rappelant vertement par haut-parleurs leur devoir aux citoyens inconséquents qui osent déambulant sur la Promenade des Anglais. Ces petits engins vont donc désormais se généraliser chez les forces de l’ordre. Et à quoi pensez-vous qu’ils serviront lorsque le Covid-19 sera enfin rentré dans son labo de Wuhan? À soulever les capuches des sweatshirts des méchants dealers ? Ou à traquer les auteurs des parties de pétanque en étage, le sport favori des petites frappes en cité lorsqu’elles accueillent les pompiers? Non voyons. Aux contrôles routiers pardi !
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Le 9 mars 2020, à Provins, sur la D619, alors que la France croyait encore à son immunité, un contrôle de grande ampleur a effectué la vérification de centaines de véhicules. Il a mobilisé 12 fonctionnaires de police pendant plusieurs heures, dont deux motards et leur nouveau drone. Fin de l’alerte routière. Passons rapidement sur le nouveau « radar tourelle » capable de vérifier, outre votre vitesse, l’espacement avec le véhicule qui vous précède, votre vignette d’assurance, la date de votre contrôle technique, le port de votre ceinture de sécurité et de compter les mégots dans votre cendrier.
Apple a déjà déclassé l’administration française
Concentrons-nous sur la reconnaissance faciale. Vous pensiez qu’elle n’arriverait jamais chez nous? Mais le projet est en phase de test dans l’administration depuis près d’un an déjà ! Il porte le doux nom de Alicem. C’est une application mobile qui permettra aux administrés de se connecter à leur compte sur le site de l’administration publique. Kafkaïen non?
De là à ce qu’elle se généralise rapidement aux guichets, dans les aéroports et les gares ou pourquoi pas dans la rue en passant par les caméras publiques comme à Londres, attendez-vous dans un futur assez proche, à ce que votre fromager vous sorte un reblochon des familles avant même que vous ayez passé le seuil de son échoppe.
À quand l’analyse rétinienne comme dans les films d’espionnage ? Dépassé tout ça, cela ne sera peut-être même pas utile. On peut déjà payer sur iPhone avec l’empreinte de son pouce. La biométrie est partout, même dans les passeports. Et elle permet de connaître tout votre track record d’un coup d’œil, et même votre ADN. Apple est propriétaire de milliards d’empreintes. Plus que l’administration française elle-même. JamesBondien! Mais ce n’est pas tout.
La loi de finance 2020 autorise désormais le fisc et les douanes à traquer les fraudeurs sur les réseaux sociaux. Grâce à des algorithmes, ces deux administrations peuvent contrôler les contrevenants supposés qui se prennent en photo devant une voiture de sport ou sur une plage des mers du Sud. Une disposition évidemment expérimentale (et donc provisoire) dont on peut être certain qu’elle s’imposera définitivement après avoir prouvé son efficacité. Le fisc scrutait déjà les magazines people à la recherche des SER (signes extérieurs de richesse), mariages princiers et berlines de luxe. Elle le fera désormais aussi pour le menu fretin.
Méfiez-vous de Sophie Davant!
Vous en avez assez de déguster les pubs pour les « conventions obsèques » ou pour le régime « Comme j’aime » qui hantent les après-midi des enchères sur France 2?
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Vous allez en être bientôt libérés. Un décret, qui devrait être prochainement publié, va autoriser la publicité ciblée. Quèsaco? Un dispositif se basant sur votre profil va bientôt permettre à votre chère télé de vous proposer les pubs vous correspondant. Et comment croyez-vous qu’on les connaîtra, vos préférences, si ce n’est grâce aux informations personnelles connues seulement de votre opérateur? Votre lieu d’habitation, son style, vos consommations télé, vos chaînes favorites… Ah vous allez en manger du RPG7 et du Luger P08 en maquette Del Prado, vous les amateurs des docs guerriers sur RMC Découverte. Du KitchenAid Artisan et du Magimix Cook Expert mixer-blenders, comme on dit en France, passionné que vous êtes par les émissions de Cyril Lignac. Et si vous êtes consommateur de films érotiques… gare aux pubs de lingerie sexy en journée. Ça pourrait faire désordre dans la chambrée.
Je n’ai rien à cacher
Cela ne vous inquiète pas, car vous êtes plutôt honnête. Vous réglez vos impôts locaux rubis sur l’ongle, donnez au denier du culte et pensez n’avoir rien à craindre. Vous n’avez rien à faire non plus des pubs que vous vous empressez de zapper. Et surtout vous n’avez pas plus peur de l’œil de Moscou que des ingérences supposées du compteur Linky. Vous n’avez rien à vous reprocher, en somme.
En êtes-vous bien sûr? N’avez-vous pas été tenté de faire un petit tour à vélo autour de chez vous l’autre soir en plein confinement ? N’avez-vous pas mis un peu moins de temps que d’habitude sur la route pour rejoindre la belle-mère et les enfants au Crotoy, l’été dernier ? Et êtes-vous certain d’avoir respecté les distances de sécurité au volant ? De ne jamais texter en voiture ? De ne jamais tondre la pelouse les dimanches ou les jours fériés?
La CNIL nous protège-t-elle assez ?
Dans un genre de flicage assez voisin, allez voir l’historique de vos déplacements sur Google. Le Gengis Khan des Gafa peut tout savoir de vous. Même le nom de votre boulanger, vos restaurants favoris, votre adresse, votre lieu de travail, vos rendez-vous, modes d’alimentation et activités sportives. La longueur de vos trajets… et vos haltes favorites. Les Gafa n’ignorent rien de votre passion pour Mélenchon, de votre adulation pour le saucisson de Lyon ou vos prédispositions pour le kir au Sauvignon. Ok Google? Saviez-vous que la moindre de vos demandes qui passe par ce système de reconnaissance vocale était enregistrée? Androïd comme Siri, gardent toutes les traces. Allez faire un tour à la rubrique « données et personnalisation » du géant américain Google, précipitez-vous, c’est édifiant.
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Vous allez penser que nous sommes des obsédés du péril numérique. Des névropathes cycliques du complotisme. Mais toutes ces avancées modernes – qui relèguent d’ailleurs la cabine téléphonique et le Bi-Bop, au rang des alignements monolithiques de Carnac – sont des coups de canifs permanents à nos chères libertés. Des coins liberticides enfoncés peu à peu dans nos vieux cerveaux d’anars franchouillards. On n’en est pas encore au « Patriot act » autorisant la NSA américaine à écouter toutes les conversations et à les enregistrer rien qu’à l’énoncé de certains mots clefs. Mais avouez qu’on n’en est plus très loin.
Heureusement il y a la CNIL. Et comme on dit chez le maïs Géant Vert, elle veille au grain. Ses 18 membres et ses 215 agents disposent même de 18,5 millions d’euros de budget pour protéger nos existences en ligne. On peut donc se coucher tranquille, la tête enfoncée profond dans nos polochons, la seule manière de dormir sur nos deux oreilles ?
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