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«Surprise ! Ton grand-père est sur la liste des collabos»: le fiasco des archives néerlandaises

La correspondance hollandaise de René ter Steege


«Surprise ! Ton grand-père est sur la liste des collabos»: le fiasco des archives néerlandaises
Image d'illustration. DR.

Ces jours-ci, les Hollandais découvrent que la « transparence » n’a pas toujours du bon.


Aux Pays-Bas, l’exercice de transparence sur la collaboration avec les nazis pendant l’occupation allemande (1940-1945) vire au fiasco. L’écrivaine et journaliste juive Natascha van Weezel a ainsi découvert avec stupeur le nom de son grand-père sur la mal-nommée « liste des collabos », accessible depuis le 2 janvier à toute personne désireuse de la consulter1. Cette liste contient les noms de quelque 425 000 personnes, toutes décédées, selon les assurances du gouvernement de La Haye.

Une liste autrefois uniquement accessible aux chercheurs

Ces noms figurent dans les Archives Centrales des Juridictions Spéciales (CABR), récemment rendues partiellement publiques. Dans ces archives, créées après la Seconde Guerre mondiale pour juger ceux et celles soupçonnés d’avoir collaboré avec l’occupant, figurent des listes de volontaires dans la Wehrmacht ou les SS, des membres du parti national-socialiste NSB, des dénonciateurs de Juifs ainsi que des artistes et des intellectuels.

Le grand-père juif de Mme van Weezel ne fait pourtant pas partie de ces collaborateurs ! Dans une chronique publiée dans le journal Het Parool2, elle raconte au contraire que son aïeul avait fui l’Allemagne nazie pour s’installer aux Pays-Bas. Après l’invasion allemande de la Hollande, en mai 1940, il parvient à gagner la Suisse. À son retour, en 1945, il apprend que ses parents et d’autres membres de sa famille, également réfugiés aux Pays-Bas, ont péri dans des camps de concentration. Bien que son grand-père, décédé en 1995, ne soit pas un résistant, il n’est donc pas non plus un collaborateur. Cependant, des cas de Juifs néerlandais ayant trahi d’autres personnes pour le compte des nazis existent…

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Natascha van Weezel découvre l’existence d’un dossier à son nom après quelques clics dans le moteur de recherche des Archives Centrales. Les informations nécessaires pour lancer une recherche sont simples : nom, prénoms, date et lieu de naissance. Ces données, auparavant accessibles uniquement aux chercheurs autorisés, sont désormais consultables par tous. Dans ce moteur de recherche, la journaliste est tombée sur le nom de son grand-père, accompagné d’un numéro de dossier et de la mention sommaire suivante : « interrogé après la guerre par la ‘politieke recherche’ », c’est-à-dire la branche de la police chargée de poursuivre les délinquants politiques. Angoissée mais déterminée, Mme van Weezel voudrait consulter ce dossier complet en ligne chez elle, depuis Amsterdam. Toutefois, les projets initiaux du gouvernement, qui prévoyaient un accès numérique, ont été bloqués en décembre 2024 par un véto du Conseil pour la Sauvegarde de la Vie Privée… Toute personne souhaitant consulter ces dossiers en intégralité doit donc se rendre physiquement aux Archives à La Haye, après avoir pris un rendez-vous en ligne. La consultation se fait alors sur place, sans possibilité de photographier les documents. Aucune preuve de lien de parenté ou justification historique ou journalistique n’est d’ailleurs requise pour y accéder.

Des semaines d’angoisse

Autant dire que l’attente risque d’être longue. Natascha van Weezel espère pouvoir examiner ce dossier, sans doute éprouvant, au plus tôt au mois de mars. Elle n’est pas la seule concernée : des dizaines de Néerlandais, y compris des députés, vivent la même expérience désagréable. Après quelques clics dans la base de données, ils découvrent les noms de leurs proches associés à cette liste controversée. Beaucoup jurent, preuves à l’appui, que leurs proches ne sont pas des collaborateurs.

La direction des Archives insiste sur le fait que la simple existence d’un dossier ne prouve en rien la culpabilité de la personne concernée. Pourtant, l’adage « il n’y a pas de fumée sans feu » reste tenace dans l’opinion publique. Aux yeux de nombreux Néerlandais, cette liste de 425 000 noms – réduite à environ 405 000 après des protestations – reste en effet celle des « collabos ». Les nuances juridiques entre des termes comme « prévenu », « soupçonné », « suspect », « accusé », « condamné » ou encore « entendu comme témoin » échappent le plus souvent au grand public.

Jusqu’aux années 1970, beaucoup de Néerlandais pensaient que la collaboration se limitait à une poignée de personnes autour d’Anton Mussert, chef du NSB et équivalent néerlandais du Maréchal Pétain. La réalité est évidemment bien différente. Et si accuser de nos jours quelqu’un des méfaits de sa famille est cruel et absurde, le stigmate reste durable. En témoigne les remous en 1989 à la rédaction du journal de Natascha van Weezel, Het Parool, fondé par des résistants à l’occupant allemand, après la nomination d’un directeur, fils d’un membre subalterne du NSB. ‘Notre journal dirigé par un fils de collabo, quelle honte!’, pouvait-on entendre alors..


  1. oorlogvoorderechter.nl ↩︎
  2. https://www.parool.nl/columns-opinie/ik-werd-steeds-razender-hoezo-was-mijn-opa-die-voor-de-nazi-s-moest-vluchten-en-meerdere-malen-aan-de-dood-was-ontsnapt-een-foute-nederlander~be00617c/ ↩︎




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Journaliste hollandais.

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