Pour le dernier jour de la campagne électorale, le président sortant s’était invité sur la radio publique. Les journalistes de la station se sont montrés très polis.
La presse dans sa presque entièreté, des présidents d’université, des préfets, des étudiants et des professeurs, des comités, des syndicats, des associations, des artistes, des sportifs, etc. appellent depuis quinze jours à « faire barrage à l’extrême-droite ». France Inter, qui participe tel un castor stakhanoviste à la construction de ce barrage depuis le début de la campagne, ne pouvait pas, à deux jours des élections, ne pas donner un dernier coup de pouce à son candidat naturel, Emmanuel Macron.
Lors de cette matinale du 22 avril, dernier jour de la campagne officielle, la radio la plus écoutée de France n’a pas hésité à mettre les petits plats dans les grands.
Mise en bouche
À 7h20, la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, commence les hostilités. Marine Le Pen n’est pas féministe. Soit, elle a dit qu’elle ne reviendrait ni sur le remboursement de l’IVG ni sur le mariage pour tous, mais cela relève d’une « stratégie de banalisation » qui dissimule mal « quelques constances (sic) ». En effet, dit Mme Mailfert, en plus de vouloir interdire le voile islamique, Marine Le Pen a des « propositions anti-immigrés » qui « taisent le fait que la majorité de ceux qui franchissent les frontières de la France sont des femmes qui, bien souvent, fuient des violences. » Mme Mailfert dit une bêtise: la très grande majorité de ceux qui franchissent nos frontières sont… des hommes, plutôt jeunes – dont certains, malheureusement, se livrent à des agressions sexuelles répétées, peu punies, qui devraient l’inquiéter au moins autant que le port du voile des petites filles de plus en plus fréquent dans certains quartiers de l’hexagone. La semaine dernière, la présidente de la Fondation des femmes déclarait déjà dans une chronique précédente qu’elle allait voter Macron.
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Entrées
À 7h45, Dominique Seux et Thomas Piketty se livrent à un joli numéro de duettistes. Tous les deux, pour des raisons contradictoires, sont d’accord pour dire que l’élection de Marine Le Pen mettrait en péril l’Europe, c’est-à-dire, dans leur esprit, l’Union Européenne. Dominique Seux ne cesse depuis quinze jours de parler du Frexit que Marine Le Pen cacherait dans sa manche. Le danger est si grand, dit-il, que Le Monde a fait paraître l’appel alarmiste du chancelier allemand et des premiers ministres espagnols et portugais. Ces derniers imploreraient « les électeurs de gauche de ne pas faire d’erreurs ». Dominique Seux traduit pour les mal-comprenants : si la droite nationale passe à cause des électeurs mélenchonistes qui se seront abstenus, l’Europe est en danger de mort.
Plat de résistance
8h20. Léa Salamé et Nicolas Demorand reçoivent, dans leur « matinale spéciale présidentielles » de plus d’une heure, Emmanuel Macron. Notons que la matinale spéciale de Marine Le Pen a eu lieu le… 12 avril – autant dire une éternité, dans le temps médiatique – et que celle du président-candidat a donc lieu, comme par hasard, très exactement deux jours avant les élections et deux jours après le débat qui l’a opposé à son adversaire, ce qui lui laisse toute latitude pour revenir sur ses propos, les répéter, les affiner, et tenter de souligner à nouveau les supposées failles du programme de Marine Le Pen.
L’entretien commence par une affabulation. Marine Le Pen, dit M. Macron en évoquant le débat, ne fait aucune distinction entre islam, islamisme et terrorisme. Léa Salamé a l’honnêteté de lui rétorquer que la candidate du RN n’a jamais pensé ou dit ça. Peu importe pour Emmanuel Macron : sa position sur le voile laisse accroire que si elle ne l’a pas dit, elle le pense. C’est d’ailleurs pour lui un des « fondamentaux » pour définir l’extrême-droite, auquel il faut ajouter le questionnement sur notre Constitution (qui devient dans sa bouche le « non-respect de notre Constitution »), l’interrogation inquiète sur la souveraineté française confrontée aux diktats de l’UE (qui devient dans sa bouche « vouloir sortir d’une Europe qui protège les individus »), etc. « Les fondamentaux de l’extrême-droite sont là », dit le candidat. Aucun journaliste ne relève la nullité de cette affirmation – si ces assertions sont les fondamentaux de l’extrême-droite, tous les partis ou mouvements politiques français ont à un moment ou à un autre de leur histoire été d’extrême-droite. Est donc d’extrême-droite, pour le candidat Macron, tout mouvement ou personne politique qui s’interrogent sur le régime présidentiel, sur les instances institutionnelles, sur l’organisation des lois dans le cadre de plus en plus contraint de l’UE, sur l’indépendance de la France, et même sur une idéologie religieuse qui impose dans certaines villes des changements radicaux dans les rapports entre les hommes et les femmes. Il faudra s’en souvenir.
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Durant cette matinale, l’épineuse question de l’insécurité a été posée, et les échanges se sont en particulier concentrés sur l’inquiétante hausse des agressions aux personnes. M. Macron répond de la même hallucinante façon que lors du débat. Il a bien réfléchi : sa priorité pour diminuer cette insécurité c’est de s’occuper des… “féminicides”. Quid des 1800 agressions par jour en France, dont 100 à 200 attaques à l’arme blanche ? Quid des policiers agressés et blessés lors d’interpellations dans les « quartiers sensibles » ? Quid des commissariats assiégés, visés par des tirs de mortier ? Quid des pompiers et des ambulanciers attirés dans des guets-apens, caillassés, insultés ? Quid de Sarah Halimi, Mireille Knoll, Jeremy Cohen, tués parce que juifs ?
Quand c’est flou il y a un loup !
Comme lors du débat télévisé, pas un seul mot sur cette insécurité réelle, quotidienne, en continuelle augmentation. L’évocation du rapport entre l’immigration clandestine et l’insécurité est sagement évitée.
Il est pourtant impossible que le président de la République ne soit pas au courant de tout cela. C’est donc délibérément qu’il ne répond pas à la question posée, soit parce qu’il n’en a rien à faire, soit parce qu’il a compris que cette insécurité a pris une telle ampleur que les prochaines mesures qui pourraient (devraient ?) être prises seront d’une toute autre nature que de simples interpellations policières. Dans tous les cas, il ment, au moins par omission, aux Français.
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Notons enfin que cet entretien entre le candidat Macron et les journalistes france intériens a été pour le moins… courtois. Marine Le Pen n’avait pas eu cette chance. Elle avait été sans cesse interrompue, en particulier par Thomas Legrand et Dominique Seux qui, désireux de sortir enfin des canines élimées par cinq ans de macronisme, ne l’avaient laissée finir aucune phrase. Avec M. Macron, l’exercice s’est avéré plus difficile. D’abord, on sentait bien que les journalistes n’avaient pas l’intention d’interrompre le candidat. Ensuite, ce dernier a appris à dire la même chose creuse de cent façons différentes, avec cet air à la fois faussement inspiré et véritablement arrogant que semblent redouter ses interlocuteurs, et sur un ton qui ne laisse aucun doute sur le fond de sa pensée que je traduis ici : « C’est moi que je sais, c’est moi que je suis le meilleur, c’est moi que je vais te montrer comment hypnotiser l’auditoire en ne disant fondamentalement rien, en omettant l’essentiel, en promettant la même chose qu’il y a cinq ans, en faisant de tous les thèmes (handicap, éducation, climat, jeunesse, violences conjugales, agriculture) « le cœur de mon programme », c’est-à-dire en me fichant bien des Français qui vont vraisemblablement m’élire à nouveau et qui n’ont pas compris que mon dernier mandat va être la consécration de mon véritable projet : faire de la France une sous-région européenne, une vague et pauvre province aux marges du monde global rendue impuissante par l’UE et surtout par l’Allemagne, dépendante des États-Unis, ouverte à toutes les migrations, promise à toutes les exactions économiques et civilisationnelles. »