Sortie en DVD d’un chef-d’œuvre méconnu de 1974 du cinéma « redneck ».
Avec la complicité de Maxime Lachaud, auteur d’un remarquable ouvrage sur le sujet (Redneck Movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain), les éditions Artus ont décidé de lancer une collection consacrée à la Hicksploitation (« Hick » = péquenauds). Après Les Marais de la haine et La Vengeance de la femme serpent, voici venir Sunday in the Country de John Trent avec un Ernest Borgnine incarnant un vieux paysan qui n’hésite pas à jouer de la gâchette pour punir de dangereux criminels.
Délivrance, le plus connu des redneck movies
Maxime Lachaud distingue deux grandes tendances dans le cinéma redneck. D’un côté, les films mettant en scène la confrontation de citadins avec un monde rural dégénéré et inquiétant qui agit comme une sorte de miroir pour l’homme civilisé et dont Délivrance de John Boorman reste le plus fameux. De l’autre, des films plus légers prenant comme héros de braves gars du cru, adeptes de la contrebande, des compétitions sportives et du système D avec comme exemple archétypique un Burt Reynolds spécialisé un temps dans ces rôles de redneck rigolards.
Sunday in the Country relève plutôt de la première catégorie et possède de nombreuses caractéristiques de ce sous-genre : un décor de campagne profonde avec cette ferme où habite le vieux Adam Smith (Ernest Borgnine) rejoint le temps d’un été par sa petite-fille Lucy, une petite communauté villageoise qui vit hors du temps, Adam ne peut pas envisager que sa petite-fille ne l’accompagne pas à l’église, trouve que sa robe est trop courte et la critique lorsqu’elle ose se servir de livres de recettes pour faire la cuisine ; et une ambiance lourde qui devient électrique lorsque des meurtres sont commis. Pourtant, en dépit de tous ces éléments, le film de John Trent ne vient pas du sud des États-Unis mais du Canada[tooltips content= »Outre le Canada, le cinéma « redneck » a également existé en Australie. Le génial Wake in Fright de Ted Kotcheff en 1971″](1)[/tooltips]. Il fait partie de cette vague de films des années 70/80 qui bénéficièrent d’une politique de relance volontariste du cinéma canadien par des exonérations d’impôts et qui permit l’émergence de films comme Shivers de Cronenberg, Le Mort-vivant de Bob Clark ou Week-end sauvage de William Fruet. D’autre part, Sunday in the Country navigue également aux confins d’un autre sous-genre qui allait faire florès dans les années 70 puis 80 : le « vigilante movie ». Contemporain ou presque du Justicier dans la ville de Michael Winner, le film témoigne de la même méfiance envers la justice institutionnelle et prône sans la moindre nuance mais avec la même ambiguïté l’autodéfense. Adam Smith parvient effectivement à tuer l’un des trois malfrats et décide ensuite de séquestrer les deux autres pour leur donner une leçon tandis que sa petite-fille le presse de prévenir la police. En situant l’action de son film dans une cambrousse particulièrement reculée, John Trent renoue avec les problématiques du western et des pionniers en opposant la justice individuelle à la Loi où la violence légale est transférée aux mains de l’institution.
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Outre ses qualités de mise en scène, les scènes d’exposition, par exemple, sont intelligemment et brillamment découpées, le film séduit par son atmosphère et la tension que John Trent parvient à instaurer sans pourtant avoir un recours excessif à la violence. Si violence il y a, elle est surtout psychologique et « symbolique », à l’image de ces deux assassins attachés avec un collier destiné aux vaches sur du fumier, le pantalon baissé tandis que la bande-son rend le bourdonnement des mouches omniprésent.
Quand le Mal surgit dans les honnêtes foyers
Elle est dans l’interprétation extraordinaire d’Ernest Borgnine qui incarne à la fois un papy débonnaire, un peu ronchon et vieux jeu mais plein de sollicitude pour sa petite-fille ; et un être ambigu peu à peu submergé par une folie qu’il peine à contrôler en dépit de son calme apparent : à la fin du film, il ira même jusqu’à tenir en joue Lucy avec sa carabine. Comme le souligne Maxime Lachaud dans le passionnant livret qui accompagne les disques, il y a une dimension presque biblique dans son personnage. Que le vieil homme s’appelle Adam n’est sans doute pas un hasard et s’il se réfère constamment aux Écritures, c’est aussi pour devenir une sorte de Dieu vengeur qui ne croit qu’en une justice individuelle. D’ailleurs, dès qu’une chance est donnée aux bandits de s’échapper, ils retrouveront leurs réflexes meurtriers et il n’y a pour eux aucun espoir d’expiation et de rédemption. Le pire des trois assassins, joué par un très inquiétant et complètement dégénéré Michael J. Pollard, est une sorte de double inversé d’Adam et leur relation reste constamment très ambiguë.
John Trent a l’intelligence de ne pas se montrer trop prosaïque et manichéen. Son « héros » incarne aussi une facette de ce Mal qui semble s’abattre sur la maisonnée. L’œuvre s’inscrit d’ailleurs dans la lignée d’un film comme Les Chiens de paille de Peckinpah avec l’idée d’un Mal qui vient s’insinuer au cœur même du foyer. Sunday in the Country ausculte avec finesse les gouffres de la psyché humaine et donne à la violence un caractère endémique.
Une fois encore, Maxime Lachaud a parfaitement raison de remarquer que le film est construit sur des non-dits, des béances, des points de suspension… Au détour d’une conversation, on apprend que la mère de Lucy est morte après avoir quitté le foyer mais on ignorera tout de ce décès et des raisons de cette fugue. Il n’est pas non plus question du père de la jeune fille. Reste alors cette figure mi-protectrice, mi-vengeresse du grand-père persuadé de sa « mission » salvatrice mais qui, au bout du compte, trouve dans le plus dégénéré des bandits un inquiétant miroir. L’indélébile plan final ne dit pas autre chose et laisse en bouche un goût de cendres…
Sunday in the Country (1974), de John Trent avec Ernest Borgnine, Michael J. Pollard. (Editions Artus Films). Sortie en Mediabook (DVD+BR+Livret)
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