C’était un 15 août.
Les rues de Rome désertes et caniculaires dormaient profondément. Nous étions au début des années 60. Vittorio papillonnait au volant de son Aurelia Sport à culasse rabotée. Collé sur le pare-brise, un carton indiquait « Camera Deputati » (Chambre des députés), ultime pied-de-nez aux Carabinieri et minable combine. Risible. À grands coups de klaxon italien et de tête-à-queue artistiques, Vittorio sautait de place en place à la recherche d’un téléphone. Jean-Louis lui ouvrit la porte de son appartement et de cette rencontre insolite naquit une amitié intéressée, sincère, joyeuse et funèbre. Vittorio était grand, 1,87 m pour 82 kg, roublard, scintillant et désabusé comme tous les héros romantiques. Polo blanc, bronzage cuivré, force de la nature et cœur d’enfant. Un fanfaron splendide, d’un naturel aussi désopilant qu’agaçant. La quarantaine triomphante quand elle commence juste à se fissurer pour émouvoir.
Vittorio parlait tout le temps. Il racontait sa vie, ses exploits, ses médiocrités, les femmes, les voitures, les nuits dansantes, l’argent, la vie en somme. Il se rappelait qu’un jour, Antonioni l’avait doublé dans une rapide Flaminia Zagato. Il avait conservé de ce dépassement fugace, une légère meurtrissure teintée d’un éblouissement respectueux pour les mécaniques vigoureuses. Il disait : « je ne connais rien de plus jouissif que de conduire », « je préfère le billard au vélo », « regarde pas le compteur, il retarde », « tu veux me laisser danser, je crée », « à l’assaut des petites teutonnes ! », etc… Il était drôle et désespéré.
Jean-Louis était sinistre, réservé, travailleur, pétri de bons sentiments, amoureux transi, détestable enfant modèle, sans vie en somme. Miracle du destin qui force deux êtres à s’unir vers une issue forcément tragique. Deux hommes lancés plein pot dans un spider sur les routes encombrées et brouillonnes d’une Italie qui étouffe. Des rires qui éclatent, des vérités criées à la volée, des mensonges susurrés, une bouillabaisse partagée, des verres de Campari bus en signe d’amitié, une nuit à la belle étoile sur une plage et cette bande-son, ce twist qui accélère les existences trop molles, trop bien réglées.
Et puis, les femmes, une multitude de femmes. Des visages qui aguichent, des corps qui repoussent, des mots qui blessent. Serveuses au regard sombre, baigneuses appétissantes, mamas replètes aux accents faubouriens. De cette mare nostrum, surnagent quelques beautés inoubliables, Catherine Spaak, la fille, une montagne de pureté et de désir infranchissable, et Luciana Angiolillo, l’ex-femme, d’une froideur incandescente.
Oui, c’était un 15 août. Un 15 août des années 60…
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