Dans la dernière semaine de campagne précédant le vote du 18 octobre, j’ai été invité par la radio suisse romande à commenter l’issue du scrutin aux nouvelles du lendemain, lundi 19 octobre.
Je devais en débattre avec l’historien marxiste Hans-Ulrich Jost et le blogueur branché Johan Rochel.
J’ai accepté, malgré mon peu d’intérêt pour la campagne en soi : c’était l’occasion d’esquisser l’atmosphère d’ensemble du pays, de décrire le style de ces élections, mais aussi, pour ma part, de relever les thèmes qui n’avaient pas été abordés au cours de cette saison fort pauvre — selon les journalistes — en débats et en idées.
Il y aurait eu pourtant de quoi discuter, hormis les éternels sujets immigration-sécurité-souveraineté-intégration européenne. Sur mon carnet figuraient les points suivants :
– Effondrement (mal masqué) du niveau scolaire général.
– Menaces environnementales graves (100 failles dans la vieille centrale de Beznau).
– Menaces sur la sphère privée.
– Bureaucratisation.
– Retard et cherté des structures technologiques publiques (WiFi public, téléphonie) par rapport à des pays bien moins développés.
– Opposition entre ce qui est voté et ce qui est élu (l’élu s’employant généralement à défaire ou amortir ce qui est voté en référendum)
Poids des cartels.
– Et surtout : absorption de la plupart (>95 %) des élus dans des conseils d’administration.
(Faisant partie de ceux qui croient qu’une politique démocratique ne se décide pas dans les cabinets feutrés, mais en place publique, je suis particulièrement préoccupé de cet achat massif de voix qui, dans des pays moins « propres sur eux » serait simplement appelé de la corruption. Étrangement, je n’ai entendu personne promettre de ne pas s’y prêter…)
Bref, les élections n’ont pas abouti au « statu quo » annoncé (espéré ?) par les journalistes, mais à une poussée modérée de la droite bourgeoise. Cela a suffi à mettre la rédaction de la RTS sens dessus dessous. Du coup, nous sommes quelques-uns dans ce pays à avoir été témoins d’un ballet rédactionnel ahurissant, confinant à la panique.
À 21 h 45, je recevais un SMS m’annonçant ma désinvitation (si j’avais, comme beaucoup de gens, coupé mon téléphone, j’eusse fait le cocu à la porte du studio, le lendemain matin !). Le motif était pour le moins curieux : comme si les invités d’une option « statu quo » n’étaient plus qualifiés pour commenter l’option « poussée à droite »…
À 22 h, j’apprenais qu’on avait organisé à la place un débat entre les quatre chefs de partis romands, dont Oskar Freysinger.
À 22 h 30, j’apprenais dudit Oskar que leur débat était finalement annulé et qu’on avait invité le conseiller national UDC Yves Nidegger face à… Hans-Ulrich Jost, encore, ainsi qu’à l’éléphant socialiste Andreas Gross et au brillant historien des idées Olivier Meuwly.
On peut écouter ici ce débat qui fut courtois et articulé. Le problème, c’est qu’on est délibérément retombé sur les vieilles scies mille fois débattues : « réflexe de peur » — « insécurité » — « isolement » — « intégration européenne ou bilatérales », assaisonnées de spéculations sur la stratégie à venir des partis. Les questions de fond, à l’exception des « marronniers » qui font le beurre de l’UDC, étaient évacuées.
Si vous me demandez qui fait le beurre de l’UDC, je détiens maintenant la réponse, expérience faite : les journalistes eux-mêmes ! Ce sont eux qui amènent, sciemment ou non, toujours les mêmes sujets sur le tapis, eux encore qui focalisent l’attention du public sur la stratégie et la tactique du pouvoir au lieu de traiter les sujets de fond qui légitiment ce pouvoir.
Ce rétrécissement des perspectives est devenu structurel. C’est une seconde nature. L’opinion publique de ce pays — comme chez les voisins — étouffera intellectuellement à force de se voir poser de telles œillères. Il est grand temps d’ouvrir les yeux sur le fonctionnement réel du système de conditionnement des masses auquel nous sommes soumis, et que nous sommes priés de financer par nos redevances.
*Photo: Pixabay.
Retrouvez cet article sur le blog de Slobodan Despot.
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