Non contents de nous éliminer du championnat d’Europe de football, nos voisins helvètes entendent rendre la langue française conforme aux capacités de leurs élèves et des nouveaux arrivants, mais surtout soumettre le français aux exigences du politiquement correct. Une aberration !
Les Suisses ont résolu de « rectifier la langue française ». L’initiative a été prise par la Conférence intercantonale de l’Instruction publique (CIIP) de la Suisse romande et entrera en vigueur dans les écoles francophones dès 2023.
Une décision vexante
Rectifier, selon la définition qu’en donne Littré, veut dire rendre droit, redresser, corriger. Mais qu’a-t-il donc le français pour qu’il faille le soumettre à tel traitement ? Serait-il bancal ? Erroné ? Le verbe choisi par les Suisses pour définir leur croisade linguistique est pour le moins étrange ; d’aucuns pourraient même le trouver vexant.
Que veulent les Suisses ? Comme à peu près tout le monde, ils cherchent à rendre la vie des élèves aussi facile que possible – ce en quoi ils prennent l’exemple malheureux des pédagogistes de l’Éducation nationale française et s’approprient leur ambition de produire des générations d’incultes, voire d’analphabètes.L’effort doit être banni de l’école et l’apprentissage réduit à un strict minimum qui, lui-même, se rétrécit d’année en année.
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Simplifier une langue, c’est l’appauvrir d’abord, l’imbécilliser ensuite, pour, enfin, assécher la pensée de ceux qui l’utilisent. C’est un but, certes, mais il est criminel. La langue n’est pas un embarras qu’il faut alléger pour la rendre supportable. L’adapter au degré d’oisiveté de ceux qui l’apprennent est l’idée la plus absurde qui soit. Va-t-on, pour faire plaisir aux étudiants, simplifier la méthode de calcul de la résistance des immeubles ou des ponts ? Une langue se conquiert, il faut faire longuement son siège pour, enfin, avoir le droit de pénétrer entre ses murs et jouir de la victoire. Offrir aux élèves les ruines soigneusement arrondies de la citadelle, c’est leur donner l’illusion néfaste que tout est facile et que tout est possible.
Adieu cette étymologie qui fait mal à la tête!
La CIIP a décrété qu’en matière d’accords certaines règles seront modifiées, que des accents et des traits d’union seront supprimés, que l’orthographe d’un certain nombre de mots sera simplifiée parce qu’« elle ne peut plus guère être expliquée ». L’étymologie, donc, est au-delà du pouvoir de compréhension et d’assimilation des élèves. On écrira, donc, farmacie et nénufar ?
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Cependant, la « réforme » ne s’arrête pas à ces absurdités. On comprend du texte de la CIIP que la Suisse se laisse glisser sur cette pente en bas de laquelle s’aperçoivent les lueurs du Monde Nouveau. Le néo-français de facture suisse est, avant tout, une déclaration d’allégeance au politiquement correct. Une fois « rectifiée », nous dit-on, la langue sera plus inclusive et moins genrée. Elle doit, également, stimuler l’égalité – idée saugrenue, puisqu’on voit mal comment l’égalité pourrait être stimulée et comment une langue mutilée jouerait ce rôle. Les formulations neutres ou collectives sont vivement encouragées, afin d’éviter l’utilisation des genres et surtout du masculin. « Le corps enseignant de nos écoles est invité à porter une attention aux formulations qui respectent l’égalité, la diversité et l’accessibilité des textes à tous les élèves. »
Lorsque le mot « diversité » fait son apparition, on sait qu’il s’agit d’une volonté de nivellement par le bas. Il faut éviter aux nouveaux arrivants l’effort d’apprendre une langue dont ils n’ont rien à faire – quand ils ne la détestent pas – et dont, pour la plupart, ils ne se serviront que de manière rudimentaire et sporadique. Mais il faut surtout – et c’est ce qui étonne de la part d’une Suisse apparemment conservatrice – se mettre aux normes de la contre-pensée qui ravage le monde. Y aura-t-il, bientôt, épuration des bibliothèques et déboulonnage de statues ? Pourquoi pas ? On ne peut jamais arrêter l’effondrement d’une maison.
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