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Contrôle des frontières ou gestion des populations?

Et si on regardait comment font les Suisses ?


Contrôle des frontières ou gestion des populations?
© M.ASTAR/SIPA

Nos voisins suisses ont proportionnellement plus d’immigrés que nous sur leur sol. Leur gestion originale des difficultés liées à l’intégration, par le bas, est à étudier de près.


Au début de ma carrière dans la recherche, je me souviens de la recommandation que m’avait faite un de mes patrons : « avant d’inventer quoique ce soit, commence donc par regarder chez les autres et surtout consulte les bibliothèques. S’il s’agit de résoudre un vieux problème, d’autres y ont certainement pensé avant toi ». Cette manière de procéder devrait inciter nos politiques à plus de modestie, les pousser à se renseigner sur ce qui se passe ailleurs plutôt que de mandater des amateurs qui ignorent tout d’une problématique donnée.
Le microcosme parisien croit qu’il suffit de dire « on ferme les frontières ». Cela n’a jamais empêché les infiltrations au travers des vastes étendues qui séparent chaque point de passage. Imaginez un immense terrain entouré d’une ligne imaginaire tracée au sol à la craie et en un point un portail réel, pensez-vous que les voyageurs passeraient par le portail pour éviter d’enjamber la ligne théorique? Les points de passage douaniers peuvent contrôler les gros transports de marchandises, obligés d’utiliser une infrastructure routière. Pour les petits véhicules, les deux roues, les piétons, il existe une infinité de passages possibles. Prétendre fermer les frontières est donc une stupidité.

L’exemple suisse

Même pendant la Seconde Guerre mondiale, il était possible de passer ; il fallait seulement surveiller les patrouilles et disposer d’une pince coupante. Je réside moi-même depuis 60 ans près de la frontière et je sais naturellement comment faire. Pensez-vous un instant que d’autres ne le savent pas ? La Suisse, depuis des siècles, maîtrise assez bien les flux migratoires ; elle gère sa population, c’est pourtant un pays démocratique. Voyons comment.
En Suisse depuis 1848, le pouvoir étatique est réparti entre la Confédération, les cantons et les communes. La Suisse comporte quatre langues nationales, une grande diversité géographique, des populations aux caractères et coutumes différentes, elle se caractérise par une étonnante cohésion nationale où la gestion de la population se fait sans heurt ou très peu, alors qu’il y a 30% d’étrangers. Cherchez l’erreur… Il existe des statuts différents pour les étrangers. Ces derniers peuvent résider en Suisse à des conditions bien précises.
En Suisse, les différentes compétences sont reparties conformément au principe de subsidiarité. Selon ce principe, la responsabilité d’une action publique est du domaine de compétence de la plus petite entité, c’est-à-dire la commune. Les tâches qui excèdent ses possibilités incombent au canton. Ce qui excède les possibilités du canton sont définies par la Constitution et dévolues au pouvoir central (politique extérieure et sécurité, douanes et monnaie, législation fédérale, défense). À titre d’exemple, l’éducation et la protection sociale sont de la compétence des communes. Je réside en Suisse depuis 60 ans où je paie mes impôts qui se décomposent ainsi : communaux 30%, cantonaux 40% et fédéraux 30%. On voit que la commune bénéficie d’une large autonomie.

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Un recensement annuel et automatique de la population permet aux trois niveaux de l’exécutif de planifier, développer des stratégies et prendre les décisions adéquates. Tout citoyen suisse est tenu de déclarer son arrivée au Service de la Population de la commune où il souhaite résider et cela sous huit jours. Il doit présenter un titre de propriété, un bail ou une attestation d’hébergement. Une procédure analogue est exigée pour les étrangers munis des autorisations d’entrée sur le territoire (à part les touristes). Les victimes de persécutions peuvent, elles, demander l’asile sous réserve d’avoir suivi la procédure en vigueur. Les citoyens appartiennent en premier à leur commune.
Les résidents autorisés peuvent demander leur naturalisation, ce qui implique que c’est la commune et non l’État, qui sera responsable de subvenir à leurs besoins en cas de nécessité. On comprend pourquoi les autorités communales y regardent à deux fois avant de donner leur accord à une demande de naturalisation. Le demandeur passe devant une commission municipale qui, après enquête, auditionne le candidat. Si la demande est finalement acceptée, une cérémonie officielle a lieu au siège du Canton avec prestation de serment et hymne national dont le candidat doit connaitre les paroles.
La Suisse comme l’Italie et l’Autriche applique le droit du sang. L’attribution de la nationalité n’y est pas automatique. Quiconque séjourne durablement en Suisse doit s’y intégrer. Cette intégration est comprise comme un processus auquel sont associés la population suisse et les étrangers. Les étrangers bien intégrés peuvent donc se faire naturaliser. La naturalisation dont les critères sont fixés au niveau de la Confédération, est donc du ressort de la Commune. Si les personnes voient leur demande d’asile ou de séjour rejetée, elles sont tenues de quitter le territoire volontairement ou sous contrainte. Des aides sont prévues à cet effet.

Petit pays, petits problèmes ?

Les problèmes de gestion de la population suisse sont quasiment identiques à ceux de la France, seule la méthode et les moyens diffèrent.
Certains diront que les échelles ne sont pas les mêmes, que cela n’a rien à voir. En effet, le traitement des dossiers part du niveau communal, c’est-à-dire au plus près de la population, alors qu’en France c’est exactement l’inverse. La commune est libre d’accepter ou de refuser la présence d’un individu. À partir de ce constat, peu importe la surface du territoire, la longueur et la perméabilité de ses frontières. En offrant l’asile ou la naturalisation, la commune d’origine doit considérer le risque qu’elle prend. Ainsi, sans domicile, il est impossible d’avoir une carte grise, le téléphone, une urgence dans un hôpital sera immédiatement connue des autorités, etc…, les logeurs clandestins risquent de lourdes poursuites pénales.
La surface de la France métropolitaine est de 551.500 km2 comparée à la Suisse 41.300 km2. La France possède 2913 km de frontières et 3427 km de côtes contre 1882 km de frontières pour la Suisse. Le bon sens montre qu’un contrôle efficace des passages en dehors des postes-frontières est illusoire. En plus des contrôles aux postes-frontières, un système de gestion des populations s’impose et cela au plus près des lieux de séjour, c’est-à-dire la Commune. L’appartenance à une commune précise entraine pour cette dernière une obligation de fournir à son citoyen des moyens de survie au cas où ce dernier viendrait à sombrer dans l’indigence par exemple et quel que soit son lieu de résidence. Pour avoir passé des milliers de fois les frontières, je peux témoigner que les douaniers, même aux points de passage principaux, sont dans l’incapacité de contrôler effectivement tous les véhicules ; cela déclencherait des émeutes. Ils en sont réduits à agir par échantillonnages.
La population de la France est évaluée à 67 millions d’habitants dont peut-être 23% d’étrangers. Celle de la Suisse est de 8 millions dont 30% d’étrangers. On pourrait donc penser que la présence d’étrangers en Suisse serait plus difficile à gérer qu’en France, or ce n’est pas le cas. Le traitement par le bas des demandes qui se présentent est sans doute le remède à la lourdeur et à l’inefficacité de la centralisation administrative que l’on constate en France. Il nous faudrait peut-être un jour sortir du jacobinisme, mais ça, c’est une autre histoire. Un cas français parmi d’autres semble inextricable, celui de la Guyane. Là-bas, il est hors de question de contrôler les frontières. En revanche un système analogue à celui de la Suisse, appliqué humainement mais strictement, devrait pouvoir fonctionner et maitriser les flux en provenance des pays limitrophes. Les militaires ont coutume de traiter les problèmes suivant le schéma : Mission, Terrain, Moyens. La mission étant connue, le terrain aussi, reste à choisir les moyens. La France ferait totalement fausse route en prétendant fermer ses frontières, c’est une pure chimère. La Suisse elle, semble avoir traité le problème de la population de manière logique et démocratique, pourquoi ne pas s’en inspirer ?



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Claude Gelès est ancien pilote de l'armée de l'Air, Ingénieur du CEA, Chercheur au CERN

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