En braquant ses projecteurs sur la percée de l’extrême droite aux élections législatives du 19 septembre en Suède, la presse est passée à côté d’un phénomène beaucoup plus important. Au lieu de se payer une quinzaine antifasciste, il aurait été opportun de dévoiler le véritable enjeu de cette campagne : le poids prépondérant de l’électorat âgé. Ainsi, entre les deux grandes formations politiques suédoises, les sociaux-démocrates « verts-rouges » de Mona Sahlin et les modérés dirigés par le Premier ministre sortant, Fredrik Reinfeldt, ce fut à qui promettrait au « troisième âge » les plus gros avantages fiscaux. Finalement, Reinfeldt, dont la proposition était − logique − plus modérée, l’a emporté sur Sahlin qui avait pourtant présenté un « paquet fiscal » beaucoup plus généreux (33% de plus) que la concurrence. Sa bonne gestion de l’économie − et surtout de la crise − ont probablement fait la petite différence en faveur du chef de la majorité sortante.[access capability= »lire_inedits »]
L’immigration racontée à ma grand-mère
C’est sous cet angle-là que la campagne et le résultat des Démocrates de Suède (SD) de Jimmie Åkesson, une version locale de notre Front national, prennent tout leur sens. Prônant une limitation de l’immigration, une politique d’assimilation et une lutte plus vigoureuse contre la criminalité, le très jeune Åkesson (31 ans) a cependant choisi comme thème-phare de sa campagne l’amélioration du sort des personnes âgées − qui, il est vrai, n’est pas sans rapport avec les sujets cités précédemment. On peut même avancer que ce fut le socle de la campagne du leader des SD. Sur son clip de campagne, on voit une grand-mère, appuyée sur son déambulateur, se diriger péniblement vers l’argent public, quand un groupe de femmes en burqa la dépasse pour atteindre avant elle le fonds d’aide de l’Etat. De l’immigration et de l’islamisme radical racontés à ma grand-mère…
L’autre grand thème de la campagne des SD, l’insécurité et le durcissement de la lutte contre la criminalité, répond, lui aussi, à une préoccupation particulièrement répandue chez les personnes âgées. Là-bas comme ici, les vieux, majoritairement des femmes souvent seules et faibles, sont plus touchés que le reste de la population par la petite délinquance.
Si, dans ce pays imprégné de valeurs protestantes, la campagne électorale visait principalement ceux qui sont nés pendant la première moitié du siècle dernier, ce n’était pas seulement pour suivre le sixième commandement − « Tu honoreras ton père et ta mère » : sur les 7 millions de Suédois inscrits sur les listes électorales, 1,7 million, soit près d’un quart de l’électorat, sont des retraités. De plus, leur taux traditionnellement élevé de participation aux élections leur confère un poids politique encore plus important que celui que leur vaudrait leur force numérique. Bien qu’il existe depuis 1987 un parti de retraités (le Parti pour les intérêts des seniors, SPI), il reste marginal dans le paysage politique. Or, si les personnes âgées ne se considèrent pas comme une communauté ou une classe sociale – encore que cette réalité est peut-être appelée à évoluer −, elles représentent, en termes de marketing politique, un segment dont l’importance ne cesse de croître. L’offre politique finit nécessairement par suivre, comme c’est en train de devenir le cas chez nous.
Si la vieillesse est l’avenir des individus, elle ne saurait être l’horizon des sociétés
En France, la Constitution de la Ve République et la méfiance à l’égard des intérêts particuliers, bien ancrée dans la culture politique, n’encouragent pas le développement de partis sectoriels à la suédoise[2. Pays où il existe même un parti de Pirates du Web dont le programme politique réclame la quasi-suppression des droits d’auteur sur Internet.]. En revanche, les préoccupations du « troisième », voire du « quatrième âge », pèsent de plus en plus dans le débat politique. En 2007, la victoire de Nicolas Sarkozy sur Ségolène Royal a été acquise grâce au soutien massif des plus de 65 ans. Si on se fie à la jurisprudence suédoise, il y a gros à parier que les mêmes décideront de son sort en 2012. Cette logique est désastreuse, aussi bien en Suède qu’en France. Si, en France, une enquête récente révèle l’ampleur de l’angoisse des jeunes face à un avenir perçu comme menaçant plutôt que comme prometteur, les Suédois de moins de 25 ans, qui enregistrent un taux de chômage de 25%[4. Sans compter ceux qui prolongent leurs études faute de trouver de l’emploi.], ne devraient pas tarder à adopter une vision plus sombre du futur.
Face au piège démographique, il faut rappeler que, si la vieillesse est notre avenir en tant qu’individus, elle ne saurait être l’horizon de nos sociétés. Que le cadre soit le modèle français si malmené ou le modèle suédois tant vanté, toute politique de solidarité doit se fixer comme priorité et même comme une urgence absolue l’insertion des jeunes dans la vie active. Ce ne sont pas les femmes en burqa qui menacent l’équilibre des caisses de retraites – quels que soient les problèmes bien réels qu’elles incarnent par ailleurs − mais la diminution du nombre d’actifs appelés à alimenter ces fonds dans les décennies qui viennent.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !