Les requêtes émises par Anders Breivik (faire abdiquer le roi, être nommé à la tête de l’armée, être expertisé par des psychiatres japonais qui, contrairement aux norvégiens, ont le sens de l’honneur etc.) m’ont remémoré ce dadaïste allemand, Johannes Baader qui, lui, s’était proclamé Successeur du Christ et Président du Globe Terrestre, ainsi qu’ « étoile la plus brillante » du Club Dada berlinois. Il évoluait dans sa propre irréalité où sa toute-puissance ne supportait aucune résistance.
Cécile Bargues trace un portrait saisissant de Johannes Baader dans l’excellente revue Lunapark (printemps 2011) dirigée par Marc Dachy. Avis aux amateurs, on y trouve également des lettres inédites d’Arthur Cravan. Comme Breivik, Baader estimait que nul ne pouvait lui disputer sa suprématie et certainement pas les généraux allemands qui n’étaient à ses yeux que des marionnettes dont il tirait les fils. Baader ne craignait rien : il disposait d’un certificat médical attestant de sa folie, certificat établi par Ludwig Binswanger, qui lui donnait l’incommensurable avantage de lui ôter la responsabilité de ses actes (il ambitionnait de faire sauter Weimar).
Il avait la certitude de se situer au-dessus de la loi des hommes, intouchable, divin, royal. De temps à autre, il s’offrait un petite annonce dans la presse comme celle-ci : « Johannes Baader, Successeur du Christ, descendu des Cieux, a l’honneur de recevoir chez lui trois jours par semaine, lundi, mercredi et samedi toute personne désireuse de lui poser des questions sur n’importe quel thème. Il recevra les visiteurs dans sa tenue de gala : tout nu ».
A la fin de sa vie, il écrivit plusieurs lettres à Hitler, lui ordonnant de rendre le pouvoir à qui de droit, c’est-à-dire à lui-même. La Gestapo l’enjoignit fermement de cesser cette correspondance, mais il continua. Il fut alors placé dans un « camp de redressement ». Il acheva sa carrière de Successeur du Christ dans un asile de vieillards, où il mourut en 1955, à soixante-dix-neuf ans.
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