Deux photos tournent certainement en boucle dans les cauchemars des dirigeants communistes chinois : celle de Gorbatchev, qui, afin de survivre, fait de la pub pour les sacs Vuitton en dernière page du NY Times. Et celle du couple Ceaușescu arrivé au terme de sa gloire.
Ces dirigeants ont donc résolu de ne pas s’appauvrir comme Gorbatchev (et sont donc devenus immensément riches) et de ne pas perdre le pouvoir comme les Ceaușescu (d’où les luttes violentes au sommet de l’appareil post-maoïste).
Ces deux cauchemars ont entrainé la chute de très nombreux dirigeants suprêmes du régime pour délits de (gigantesque) corruption. La presse occidentale s’est fait l’écho des médias chinois sur ce sujet, et je n’ai rien à ajouter pour l’information des lecteurs de Causeur.
Mais ce dont la presse parisienne a peu parlé, ce sont les flots de stupre qui se sont mêlés aux fleuves de lucre. Sur le lucre, la presse officielle chinoise regorge de détails et de chiffres. Quant au stupre, cette même presse en sert de bonnes portions, mais le relais principal est pris par Weibo (le Twitter chinois) et autres réseaux sociaux.
Afin de ne pas lasser avec des répétitions sur les horreurs de la révo. cul et les quarante millions de morts de faim du Président Mao, je me suis donc plongée, un peu, dans le web chinois, plus précisément dans l’intense information commerciale, politique, culturelle, et privée, assurée par des réseaux sociaux très développés, beaucoup plus que Facebook en France.
Six cent millions de Chinois, de toutes conditions, vivent accrochés à leurs smartphone et tablettes et font circuler d’une manière inconnue en Europe des quantités infernales de nouvelles. La censure veille, bloque et débloque certains mots et manipule en rémunérant des « WuMaoYuan », des « singes à cinq sous », un calembour sur l’homophonie de « singe » avec « employé » dans l’expression 「網評猿」 ou 「五毛員」. On ne sait pas combien il y en a précisément, mais assurément beaucoup.
« 5 maos », c’est un demi RMB, soit 0,08€. C’est la rémunération, modeste, des étudiants et chômeurs travaillant littéralement « à la pièce », pour faire la claque sur certains sujets favorables au pouvoir mais aussi lancer des rumeurs, ou en combattre d’autres, diffuser les infos les plus salaces sur les dirigeants déchus, ou qui vont bientôt choir.
Un exemple : une jolie dame chinoise a la réputation d’avoir transmis une maladie à ses nombreux amants. Les réseaux sociaux bourdonnent abondamment sur le sujet. Pourquoi parler de cette « histoire de fesses » dans Causeur, qui n’est pas un tabloïd londonien ?
Parce que la dame en question, Tang Can 湯燦, est une chanteuse très célèbre en Chine. Elle a même été quelque chose comme colonel-chanteuse au ministère de la Défense.
Quand ce n’était pas en uniforme [photo ci-dessus], elle passait sur les chaînes de TV dans des mises en scène grandioses.
Cette séduisante chanteuse serait en détention à WuHan, sinon déjà libérée en échange de confidences sur ses amants et leurs juteuses combines. Il est plus certain que plusieurs de ses imposants amants sont bien en prison : ce sont les « tigres » que vise la campagne anti-corruption en cours et fortement médiatisée.
Parmi le million de Chinois installés en France (sans compter les Taiwanais), y compris les étudiants que je fréquente, les discussions vont bon train sur les affaires de sexe du pouvoir pékinois ; celles-ci suscitent des clics nombreux, par millions, sur le web chinois hors de Chine, en plus de la fermentation des réseaux sociaux en Chine même.
Nous voilà donc au cœur d’une indéniable réalité, mais aussi suspecte que les gens qui la propagent et dont discutent tous les Chinois. Quoi qu’il en soit, en Chine et en chinois, Tang Can est l’une des plus célèbres femmes fatales, un sujet pour un feuilleton TV.
Des universitaires ont déjà rédigé des thèses sur ce thème. Pour n’en citer qu’une, disponible sur Google books : Social Issues in China : Gender, Ethnicity, Labor, and the Environment, par Hao ZhiDong & autres. Un chapitre donne, de manière très académique, les noms de plusieurs officiels, policiers, gouverneurs, etc. qui avouent tous plus de cent maîtresses.
Parmi les nombreuses célébrités politico-sexuelles qui défraient la chronique, citons également Li Wei 李薇, d’origine franco-vietnamienne, milliardaire elle aussi grâce à une ribambelle d’amants puissants – donc riches – qu’elle a d’abord recrutés dans la province du YunNan, avant de gagner la capitale, en passant par la province du ShanDong. Elle a droit sur le web chinois à une longue notice biographique, détaillant une impressionnante liste de hiérarques industriels et administratifs comme amants homologués.
Elle est au centre de livres pas encore traduits en français, dont Tiger Head, Snake Tails : China today, how it got there and why it has to change de Jonathan Fenby.
Détenue quelque temps, Li Wei aurait été libérée après avoir livré tout toutes sortes de détails sur la manière dont ses anciens amants, tout en s’enrichissant, l’auraient considérablement enrichie. C’est la revue CaiJing, le très sérieux magazine économique publié à Pékin, qui a débusqué et dévoilé en 2011 les scandaleuses maîtresses des dirigeants corrompus et leurs performances financières, sous la plume de deux journalistes, Rao Zhi 饒智 et Luo ChangPing 羅昌平. Ils n’ont pu le faire sans avoir reçu des encouragements précis d’une autre faction, plus puissante encore, les « tueurs de tigres » au sein de la haute direction du PCC.
Bo XiLai et Zhou YongKang, son protecteur, sont crédités d’avoir connu ou entretenu 800 maîtresses, dont de nombreuses présentatrices des chaînes de télévision nationales, provinciales et municipales (les réseaux câblés).
Pour être équitable, et respecter la parité, le web chinois donne aussi le nom et les photos de jeunes hommes vigoureux, célèbres en Chine pour savoir consoler les épouses des dirigeants communistes déchus. Le plus célèbre : Rui ChengGang 芮成鋼 aurait avoué à la police avoir rendu heureuses une vingtaine de « cougars », épouses de potentats corrompus en manque d’orgasmes. La plus célèbre de ses abonnées serait l’épouse de Ling JiHua 令計劃, qui fut le directeur de cabinet de l’ancien président de la République Hu JinTao 胡錦濤. La chute de Ling (et de sa famille) est survenue après que son fils eut trouvé la mort en percutant sa Ferrari sur une pile de pont avec deux jeunes cover girls nues à ses côtés.
Rui ChengGang était une star du paysage audiovisuel chinois. Au forum de Davos, il avait interpellé en très bon anglais, de manière cavalière, l’ambassadeur américain à Pékin, Garry Locke (un Californien d’origine chinoise, connu pour la modestie de son train de vie). Il avait fait de même avec le Président Obama à Séoul, scandalisant la presse coréenne par son arrogance.
Je plonge dans ces flots de stupre et de lucre, spectaculairement étalés, pour ne rien ignorer des réalités chinoises, mais également pour interpeller les lecteurs sur un point majeur de la perception de la Chine en France.
L’adoration de la Chine y semble perpétuelle. Il n’y a pas si longtemps, droite et gauche rivalisaient de complaisance envers les crimes du maoïsme, en particulier le « grand bond en avant » et ses 40 millions de morts de faim, avant que Pol Pot, soutenu par Pékin au plus fort du génocide cambodgien, ne trouve à Paris de nombreux admirateurs.
Maintenant, c’est de la Chine capitaliste-maoïste et de ses capitaux-post-maoïstes que les Français sont énamourés. C’est pour cela qu’il faut un peu explorer la sexualité politique du post-maoïsme, capitaliste mais toujours maoïste, même si le régime se réclame aussi aujourd’hui du confucianisme.
Après cette tribune, à qui pourrais-je réclamer mes 5 sous (5 maos de RMB) pour avoir répandu auprès des lecteurs français la version soufflée par le « ministère chinois de la Vérité », appellation orwellienne des trois départements officiels de la propagande qu’ont adoptée les internautes Chinois : « Tang Can a-t-elle passé le virus du SIDA à Bo XiLai ? Ou simplement les morpions de Zhou YongKang ? ». On imagine l’inquiétude des malheureux corrompus.
A suivre…
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