Dimanche soir, Stromae a chanté au 20 heures de TF1. La séquence a fait beaucoup couler d’encre ou tweeter depuis. Oui, pour une simple chanson. Pourquoi?
Revenons sur la séquence. Après sept ans d’absence, le chanteur belge Stromae revient avec un nouvel album : « Multitudes », et en fait la promotion au journal de 20 heures de TF1, présenté par Anne-Claire Coudray. Jusque-là rien de nouveau sous le soleil.
Ces pensées qui font vivre un enfer
Seulement, après un entretien convenu, pour répondre à cette question de la journaliste : « Dans vos chansons, vous parlez beaucoup de solitude, est-ce que la musique vous a aidé à vous en libérer ? », Stromae répond en interprétant un extrait de son nouvel album : « L’enfer », comme ça, sans prévenir, même si tout cela était bien évidemment mis en scène et préenregistré.
Cette chanson traite de la grave dépression que le chanteur a traversée, et des idées suicidaires qui l’ont obsédé. Il interprète « L’enfer » tel un troubadour récitant sa plainte, ne lâchant pas la caméra du regard, avec cette intensité distanciée et pudique qui lui est propre. Il raconte son spleen – ses idées suicidaires – avec des mots simples qui ne peuvent que susciter l’émotion, à moins d’être un monstre de froideur : « J’ai parfois eu des pensées suicidaires et j’en suis peu fier, on croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire, ces pensées qui me font vivre un enfer… ».
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Et Twitter s’enflamme, ne tarissant pas d’éloges sur cette prestation inattendue, et surtout, je n’en doute pas une seconde, sincère. « Une séquence de télévision déjà mythique. Je ne veux rien savoir, Stromae est un génie » s’enthousiasme un des utilisateurs du réseau social. « Je crois qu’on vient de prendre une claque monumentale. Incroyable moment » écrit un autre. Je partage totalement cet enthousiasme, même si quand certains déclarent que « c’est du jamais vu à la télévision », ils oublient de mentionner cet autre moment mythique que seuls les plus de vingt ans peuvent connaître : l’intervention de Daniel Balavoine au journal de 13 heures d’Antenne 2, le 19 mars 1980, devant un François Mitterrand médusé et pas encore président. L’interprète de “Tous les cris les S.O.S” déversait alors une colère non feinte face à la corruption de certains élus (entre autres Gaston Defferre) et le désarroi de la jeunesse. En 1980, lorsque les réseaux sociaux n’existaient pas, que la société du spectacle n’était pas encore totalement accomplie, la télévision pouvait encore offrir quelques moments de grâce et de vérité, et il me semble que c’est précisément ce qui s’est passé dimanche soir sur TF1.
Les pisse-froid de l’Obs
Cependant, ce n’est pas l’avis de tout le monde. Un article de L’Obs : « Pourquoi la prestation de Stromae sur TF1 était franchement embarrassante », notamment, m’a fait sortir de mes gonds. Il s’agit d’une diarrhée verbale et de mauvaise foi, où les auteurs déversent des poncifs sur les frontières nécessaires entre promotion artistique et déontologie journalistique, sans oublier la tarte à la crème de la société du spectacle, en citant bien sûr Guy Debord. En cela, les journalistes de l’hebdo de gauche découvrent l’eau chaude, car tout est évidemment spectacle dans notre société. Spectacle, dont l’étymologie est spectare : regarder. S’il est bien sûr nécessaire et même vital de poser parfois un regard lucide ou critique sur le spectacle permanent qu’est devenue la politique, la marchandisation des corps et même des émotions, néanmoins, rien n’est simple et l’exception fait parfois la règle. Dimanche soir, en défiant la caméra de son regard clair, Stromae a rendu au spectacle ses lettres de noblesse et est parvenu à faire communier son public dans l’émotion, la vraie, celle qui fédère et suspend le temps…
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Le plus sidérant dans l’article de L’Obs est encore à venir: cette séquence alimenterait chez certains le populisme et… le complotisme. Les scribouillards semblent manifestement confondre populisme et élan du cœur, populisme et catharsis populaire. Quant au complotisme… nous nageons là en pleine absurdité, mais le plus vraisemblable est que nos confrères ont simplement cherché à faire les intéressants.
Comme tout arrive dans la vie, c’est Sonia Devillers, la journaliste qui anime « L’instant M » tous les matins sur France Inter, qui, à mon sens, a le mieux analysé cette séquence. Après avoir également relevé la grâce et l’authenticité de ce moment de télé, elle a eu surtout ces quelques mots terriblement justes : « C’est redonner à la maladie mentale sa dignité. » Les commentateurs ont-ils oublié que Stromae se met à nu en évoquant ses envies de suicide ?
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