Le soir de la Fête de la musique, à Nantes, des manoeuvres policières discutables ont fait tomber dans la Loire plusieurs personnes, dont Steve Caniço, 24 ans, que l’on n’a pas revu depuis. Sous Macron, la police nantaise se croirait-elle tout permis?
Sans doute parce que j’ai lu avec retard le numéro de Libé du week-end consacré à la disparition de Steve Caniço tombé dans la Loire, à Nantes, pendant une charge de police à la fin de la Fête de la Musique, j’ai retrouvé le « à quoi ça me faisait penser » qui me turlupinait depuis que j’ai appris cette histoire tout de même incroyable par sa violence et la conception pour le moins assez étrange du maintien de l’ordre qu’elle révèle.
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Une situation kafkaïenne, terrifiante, d’un silence politique, policier et judiciaire total qui signifie, très clairement, que la police peut vous tuer, directement ou indirectement, volontairement ou par accident. Tant qu’il n’y a pas de corps, finalement, il n’y aura pas de problème. Même les syndicalistes de la police, même ceux de Nantes confient à mots couverts, qu’il y a eu un « gros problème » dans la proportionnalité de la riposte.
Vingt-deux, v’là les flics « progressistes » à Macron!
C’est tout de même frappant, l’image centriste que se donne ce pouvoir et la réalité de son action sur le terrain quand ça coince. Autoproclamé « progressiste », il se conduit dans les faits comme une de ces démocraties autoritaires qui fleurissent en Europe, en Turquie ou en Russie. On n’est même plus très loin d’une bonne vieille dictature latino-américaine à l’époque du plan Condor et des Ford Falcon qui s’arrêtaient pour arrêter des gens qu’on ne revoyait plus jamais.
Mais, pour Steve Caniço, c’est la mort d’Armand Robin qui m’est revenue en mémoire. Poète polyglotte, anarchiste, radioamateur, il est l’auteur du très beau Ma vie sans moi (Poésie/Gallimard) et il est mort en 1961, en pleine guerre d’Algérie, dans un commissariat où on l’a amené après une bagarre dans un café et dont il n’est jamais ressorti. On a pour lui, au moins, retrouvé son corps plusieurs jours après dans une infirmerie du Dépôt mais il a été impossible de savoir qui l’avait amené et quand.
Les circonstances de sa mort, cinquante-huit ans après, n’ont toujours pas été éclairées.
Il semble bien, de fait, après la répression des Gilets Jaunes, qui sont en reflux pour des raisons politiques, sans doute, mais aussi et avant tout parce que la répression a pris des proportions rarement atteintes (si l’on s’en réfère au nombre d’enquêtes internes ouvertes en regard du nombre de blessés graves et de mutilés à vie), il semble bien donc que la police « progressiste » de Castaner et Macron puisse se permettre à peu près n’importe quoi, n’importe quand et avec n’importe qui.
Tout le monde sur un pied d’égalité: en danger
Même cette attitude assez veule de certains citoyens qui, par exemple à propos de la vidéosurveillance, ne voient pas de raisons de s’indigner parce « qu’ils n’ont rien à se reprocher » n’est plus une garantie, et ils feraient bien de se méfier, les défenseurs inconditionnels de la police : un regard de travers, un mot plus haut que l’autre et l’honnête citoyen n’est plus considéré ni comme honnête, ni comme citoyen.
En effet, il n’y a plus besoin d’être un sans-papier au Panthéon, un Gilet Jaune dans une manif, un syndicaliste qui occupe son usine pendant un plan social ou même un teufeur comme Steve Caniço sur un quai de Nantes pour perdre un œil, une main ou disparaître dans un fleuve, purement et simplement. C’est ça une police « progressiste » : on ne peut pas l’accuser d’être raciste ou antisociale, avec elle tout le monde est sur un pied d’égalité : en danger. Pour finir, on citera Armand Robin, donc, dans son poème « Le Programme de quelques siècles » :
« On supprimera la
Charité
Au nom de la
Justice,
Puis on supprimera la justice. »
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