Entretien avec Stéphane Rozès, politologue.
Causeur. Comment expliquer l’OPA de LFI sur l’ensemble de la gauche ?
Stéphane Rozès. Jean-Luc Mélenchon a réussi à faire croire à l’ensemble de ses partenaires qu’il était propriétaire des voix accumulées à la présidentielle et qu’il pouvait redistribuer ce capital électoral. Dans l’ambiance de sauve-qui-peut général, l’offre a été vue comme inespérée. L’homme a surjoué son poids électoral réel. Il sait très bien que dans les faits, la Nupes ne fera pas de lui un Premier ministre et ne sera même pas « faiseuse » de gouvernement.
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N’empêche, est-ce que cette union ne pourrait pas faire la force ?
Si cette alliance peut permettre de limiter les dégâts sur le plan électoral, elle ne pourra causer que déceptions et frustrations par rapport aux ambitions qui l’ont motivée. Une fois l’élection passée, le soufflé va très vite retomber. Ce qui tient aujourd’hui ensemble cette coalition d’intérêts électoraux et fait le succès de la gauche diversitaire n’est pas l’adhésion populaire à ses représentations, encore moins sa sociologie, mais le verbe de Jean-Luc Mélenchon et son césarisme. Il est le liant entre des sous-familles politiques très hétérogènes : travailleurs précaires sans diplôme, jeunes diplômés peinant à s’insérer et chez lesquels la différence entre capital social et capital économique alimente la frustration, communautaristes ethnico-religieux et électeurs orphelins de la gauche républicaine qui refusent les votes Macron, Le Pen ou Zemmour. Si tous ces gens peuvent constituer un front du refus, ils n’ont pas d’imaginaire partagé et ne peuvent se projeter vers un avenir positif.
La Nupes est-elle l’amorce d’une recomposition de la gauche ?
Elle est au contraire le marqueur de sa décomposition. Si dans l’histoire de la gauche (Front populaire, Mai 68, programme commun), l’union ne résolvait pas les différences idéologiques profondes qui existaient entre communistes et socialistes, ces alliances étaient néanmoins portées par des forces sociales dotées d’une conscience de classe. Elles avaient des objectifs concrets et choisissaient pour les réaliser de se donner une représentation politique cohérente. Ces alliances créaient de véritables dynamiques, car elles savaient lier souveraineté nationale, souveraineté populaire et question sociale.
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Ce n’est pas le cas de la Nupes ?
La Nupes, qui traduit une vision de la gauche réduite à l’hégémonie de LFI, n’est pas en mesure de créer ce type de lien, car elle n’agrège fortement que des segments de population qui réclament une place dans la société au nom de leurs manques et de leur difficulté à être. Elle accumule le ressentiment, là où, avant, l’union était basée sur le souvenir de luttes communes, d’un ancrage intellectuel et territorial, de fierté en termes d’identité sociale. L’existence d’une mémoire collective et d’une identité ouvrière permettait de construire des rapports politiques stables et de poursuivre des objectifs au long cours.