Quartier le plus pauvre de France, Saint-Jacques est aujourd’hui le ghetto à ciel ouvert de la communauté gitane de Perpignan, où l’illettrisme le dispute au chômage. Critiqués par Stéphane Bern et certains acteurs du patrimoine, les travaux de rénovation de ce quartier central sont aujourd’hui suspendus. Le coordinateur du projet, Olivier Amiel, adjoint au maire de Perpignan responsable de la politique de la ville, nous explique pourquoi. Entretien.
Daoud Boughezala. Dans nos colonnes, le directeur de la Tribune de l’Art Didier Ryckner est très critique à l’encontre de la loi Patrimoine qui, selon lui, peut permettre le démantèlement de petits bijoux de patrimoine tels que le Marais ou le quartier Saint-Jacques de Perpignan. Ca m’a fait penser à votre différend avec Stéphane Bern…
Olivier Amiel. Nous voulions tout simplement faire remarquer à Stéphane Bern qu’il jugeait une ville, un quartier sans y avoir mis les pieds. Je l’ai fait d’une manière un peu virulente en le traitant de « bouffon du roi Macron » et de « pitre cathodique » certes, mais j’étais très en colère car je n’apprécie pas qu’on veuille saborder d’un simple tweet le travail de plusieurs années mené par des habitants, des agents territoriaux et de l’Etat…
Evidemment, il faut sauvegarder le patrimoine français, l’architecte des bâtiments de France est là pour ça. Il ne faut pas pour autant mettre sous cloche certains quartiers et des villes entières, il faut prendre en compte les hommes et femmes qui y vivent. Certains architectes du bâtiment de France peuvent dépasser leurs fonctions. Je ne trouve pas sain qu’une (seule) personne puisse bloquer une activité humaine, une évolution urbaine à sa guise.
Dans le quartier Saint-Jacques, 60% des foyers vivent en dessous du seuil de pauvreté, le taux de chômage s’élève à 70%
Expliquez-nous le leitmotiv du réaménagement du quartier Saint-Jacques ?
On a une urgence urbaine et humaine hors-norme. Saint-Jacques a été retenu dans le quartier général de renouvellement urbain, il fait donc partie des 200 quartiers les plus pauvres de France. Beaucoup le classent d’ailleurs comme « le » quartier le plus pauvre de France. 60% des foyers vivent en dessous du seuil de pauvreté, le taux de chômage s’élève à 90% chez les jeunes de 16-25 ans (70 % dans l’ensemble de la population), la moitié des immeubles y sont potentiellement indignes. En 2006, un homme est décédé à la suite d’un effondrement. On recense d’ailleurs un nombre record de périls et d’immeubles en état d’insalubrité par rapport au territoire national. Nous nous devions d’agir.
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A côté de ça, c’est un quartier historique qui fait l’objet d’un plan de sauvegarde du patrimoine. On prend en compte cet aspect lors du réaménagement. Aujourd’hui avec le nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), nous avons dissocié les deux procédures : celle de révision du secteur sauvegardé et celle de lancement de projet de renouvellement urbain. Pourquoi ? Parce que ce projet de renouvellement urbain permet d’améliorer les conditions de vie des habitants, et ça c’est urgent. La question de révision du secteur sauvegardé est d’ordre esthétique et patrimoniale, là il y a moins d’urgence. Notre projet du NPNRU est totalement conforme au règlement tel qu’il est aujourd’hui. Tous les éléments qui auraient nécessité d’attendre la révision du secteur sauvegardé ont été retirés. On sauvegarde le patrimoine tout en évitant d’être sous cloche et en permettant d’améliorer d’ores et déjà les conditions de vie des habitants.
On ne peut laisser les gens vivre dans des conditions de vie indignes pour éviter de toucher au patrimoine.
Quel est le secteur concerné ?
Cela concerne l’ensemble du centre historique de Perpignan, qui comprend les quartiers Saint-Jacques et Saint-Matthieu mais aussi La Réal, qui comprend l’église Notre-Dame-la-Réal. Encore une fois, ça ne va pas à l’encontre de la défense du patrimoine. Vous savez, touristiquement parlant, le patrimoine est notre atout principal, on ne risque pas de le mettre à mal. L’ensemble des habitants a d’ailleurs un fort lien affectif avec le centre historique. On ne peut laisser les gens vivre dans des conditions de vie indignes pour éviter de toucher au patrimoine. Ce genre de débat me fait penser aux « hutongs », les maisons traditionnelles chinoises. Les touristes trouvaient scandaleux qu’on veuille les détruire, mais ils n’étaient pas à la place de ceux qui les habitaient dans des conditions insalubres, sans eau, sans électricité… Donc il faut, bien entendu, sauvegarder le patrimoine, mais ne jamais oublier les vies qu’il abrite.
Un chantier a été bloqué parce que certains craignent qu’on veuille chasser la population gitane du quartier.
Quelle part de la population va quitter le quartier de Saint-Jacques à l’issue de ce réaménagement ?
Un chantier a été bloqué parce que certains craignent qu’on veuille chasser la population gitane du quartier. Or, toutes les réunions et les documents ont confirmé notre absence de volonté de chasser la population. On reconstitue de l’offre en terme de logement, que ce soit du logement locatif social ou du logement conventionné, donc toujours abordable. Ce qui permettra à ceux qui le veulent de rester dans le quartier. Beaucoup de villes ont gentrifié leurs quartiers en virant les classes populaires pour ne faire que du grand standing. Nous, on ne veut ni chasser ni ghettoïser la population. Il y aura la possibilité de maintenir ceux qui souhaitent rester, et pour les familles qui souhaitent quitter le quartier, nous mettons en place un accompagnement social approprié.
Que s’est-il passé pour que votre député LREM entrave les travaux (encore suspendus) ?
Romain Grau, puisqu’il s’agit de lui, a incité des personnes à continuer « à leur faire peur, à leur mettre la pression » afin que cela devienne un problème d’ordre public et que le préfet soit obligé de maintenir l’ordre public et donc, de bloquer le chantier. Cette attitude est totalement irresponsable de la part d’un élu de la République, surtout dans un quartier qui a connu des problèmes de violence urbaine et communautaire. Il l’a fait à des fins politiques et c’est regrettable, surtout pour un chantier de résorption d’habitat insalubre (RHI). Ce genre de chantier permet de démolir pour reconstruire du logement locatif social. En jouant sur la crainte d’être chassé, il fait bloquer un chantier de démolition d’immeubles non-habités et non-habitables sur lesquels nous devons reconstruire des logements sociaux. Rendez vous compte de l’absurdité de son comportement et de la situation !
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