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L’étoile des amants

"Dominique suivi de Épectases de Sollers", de Stéphane Barsacq (Éditions le clos jouve)


L’étoile des amants
L'écrivain belge Dominique Rolin (1913-2012) © ANDERSEN ULF/SIPA

Le 24 mars 2000, Bernard Pivot réunit Philippe Sollers et Dominique Rolin dans « Bouillon de culture ». Elle publie Journal amoureux ; lui Passion fixe. Pivot va les piéger en révélant en direct que le Jim du livre de Dominique Rolin est en réalité Sollers…


Dominique Rolin est décontenancée, elle a le souffle coupé. Sollers sourit, agite sa main baguée, continue la conversation. Il en a vu d’autres.
Au fond, Dominique Rolin n’est pas mécontente que son histoire d’amour commencée en 1958 soit enfin révélée. Sollers, moins. Une partie de son cloisonnement a volé en éclats. Il va lui falloir apaiser la colère de Julia Kristeva, son épouse depuis le 2 août 1967.
Stéphane Barsacq a bien connu Dominique Rolin et Philippe Sollers, mais à des époques différentes. Ils ont fini par être inséparables à trois, mais jamais en même temps. Il a décidé de les réunir dans un très beau livre, émouvant et pudique, en deux parties. La première est consacrée à Dominique Rolin ; elle se présente sous la forme de journal et retrace ses échanges amicaux avec celle qu’il appelle par son prénom. La deuxième évoque, en écho, le « compagnon majeur » de sa vie, Philippe Sollers, avec qui il était intimement lié, au point que l’auteur du prophétique Femmes lui a dédié son livre Illuminations, en 2003.
Ce témoignage est très important pour connaitre « de l’intérieur » à la fois Sollers, Rolin et le couple atypique qu’ils formaient. Il faut beaucoup d’amour pour tenir tête à la société. Comme l’écrit Sollers, dans Passion fixe : « C’est contre les crimes d’amour que se font tous les crimes. Facile à vérifier, pourtant personne ne le dit ».
En 1958, Dominique Rolin est veuve, a une fille, écrit des romans ; elle a 45 ans, lui 22. Coup de foudre réciproque. Il y aura ensemble la découverte de Venise, le partage de l’écriture pratiquée séparément, la musique, la mort de Dominique, puis la solitude de Sollers brisé. Stéphane Barsacq, témoin privilégié, raconte tout ça. C’est daté, précis, inoubliable dans le soleil couchant embrasant les Zattere ou les toits du musée d’Orsay. Barsacq cite un extrait du poème de Shakespeare, un des rares « voyageurs du temps » sélectionnés par Sollers, sur deux oiseaux morts : « La mort est maintenant le nid du phénix ; et le sein loyal de la colombe repose sur l’éternité. / Ils n’ont pas laissé de postérité, et ce n’était pas chez eux infirmité. » Privilège de l’écrivain que d’entrer dans ce que Malraux nomme le monde de la création de l’homme ; monde qui regarde la mort en face et lui échappe.

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Dans la première partie, on apprend que Dominique Rolin avait pour premiers maîtres Jean Cocteau et Max Jacob, qu’elle avait rencontré Robert Desnos, qu’elle fut la maîtresse de Robert Denoël, l’éditeur de Céline, qu’elle fut courtisée par Maurice Blanchot et Julien Gracq – colère de Sollers quand il l’apprit. Dans son journal, daté du 19 mars 2002, Barsacq note : « Dominique au téléphone : ‘’J’ai eu le prix France Culture. Et je m’en fous ! Si tu savais comme je m’en fous !’’ » Liberté d’allure et de ton.
Vient ensuite la partie consacrée à Sollers. Lue avec un pincement au cœur, je l’avoue. Incroyable Sollers, toujours en mouvement, regardant droit devant, détestant le passé. Il revit grâce à Barsacq qui retranscrit fidèlement quelques savoureux dialogues. J’entends sa voix, son rire communicatif qui surgit entre deux volutes de Camel. Extrait : « Je défends une place forte, mais il n’y a plus personne. L’important est qu’on croit que je suis à la tête d’une armée. » Et ceci : « Si je proclamais que j’ai tout raté, ce serait le triomphe ! Mais, Stéphane, vous m’entendez, jamais, je ne leur ferai ce plaisir ! Non, cela, jamais ! »
C’est souvent ironique, parfois mordant, jamais méchant. Sollers était bien au-delà des querelles dignes d’un roman de Pagnol. Il avançait, et sa foulée n’était pas celle de son époque, encore moins de la France moisie qui refuse d’ouvrir les placards de la honte. Encore un extrait : « Mon cher Stéphane, vous revenez de votre île, moi aussi. Allons ensemble dans la vallée du mensonge. Avec joie. Avec gaieté. »
Nous y sommes, la guerre du goût fait rage, la victoire n’a jamais été aussi incertaine, mais l’étoile des amants nous guide.

Stéphane Barsacq, Dominique suivi de Épectases de Sollers, Éditions le clos jouve. 116 pages.



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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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