En matière artistique, toute tentative de hiérarchiser la production serait aujourd’hui perçue comme discriminante.
C’est quoi un homme de lettres ? Un vieux monsieur qui porte le bicorne pour amuser ses petits camarades à la récré, un gros vendeur à six chiffres, un primé à répétition par des jurys gagas, un martyre des bibliothèques pour normalien dépressif, une starlette des librairies aux jambes aussi fines que ses romans ou une madone des médias qui pleure sur commande en prime time, la faune des écrivains est plus riche que la jungle amazonienne, plus dangereuse aussi. L’Histoire, cruelle et taquine, ne retiendra pourtant qu’un nom ou deux. Au jeu de bonneteau de la célébrité, il y a assurément plus de perdants que de gagnants. Comment trier tous ces plumitifs sans alerter l’association L214 ?
En matière artistique, toute tentative de hiérarchiser la production serait aujourd’hui perçue comme discriminante. La justice s’y engouffrerait avec délectation. Avec les écrivains morts, les risques sont moins grands quoique certains fans peuvent se révéler tatillons avec le devoir de mémoire. L’intouchable Hugo continue de rafler la mise avec deux soirées télévisées diffusées début novembre sur le service public. Ceux de 14 seront bientôt panthéonisés. Céline est toujours aussi infréquentable, quant à Jean d’O, sa postérité se joue en ce moment. Sur un fil. Le lira-t-on ou pas ? Telle est la question. Cet automne, plusieurs auteurs refont surface des nimbes du passé. Oubliés des commémorations, engloutis sous l’édredon de la modernité, inconnus des bataillons de lecteurs à part de quelques bibliophiles shootés au papier vélin, ces spectres ont droit à leur quart d’heure de notoriété. Qui se souvient, par exemple, de Joseph Peyré ? Le béarnais, Goncourt 1935 pour Sang et Lumières, candidat malheureux à l’Académie, une œuvre baignée par les monts enneigés et drapée dans un costume de lumière à l’espagnole.
Des écrits balayés par le sable des arènes et l’oxygène rare des ciels alpestres. Il fallait toute l’intelligence d’un universitaire, une piété familiale et un grand sens de l’histoire pour réussir à raviver la flamme de cet écrivain disparu. Pierre Peyré, son neveu, nous propose une biographie illustrée, indiscutable et fascinante, aux éditions Atlantica sous-titrée Le Béarn pour racines, l’horizon pour destin. Une bouffée d’air pur venue de très loin qui nous immunise contre la hausse des carburants et la valse des taxes. Pour les spéléologues de l’histoire littéraire, les amateurs d’enquêtes irrésolues, procurez-vous le récit très documenté de Roy W. Brown publié par l’Association d’Arts et d’Etudes du Lot, sur Jeanne Loviton alias Jean Voilier et replongez dans un monde gris souris. Souvenez-vous l’assassinat de Robert Denoël à la Libération, les fantômes de Paul Valery, Jean Giraudoux, Saint-John Perse, Pierre Frondaie ou Curzio Malaparte et cette atmosphère nébuleuse d’après-guerre où les dés sont pipés et les existences sous influence.
Ce dossier s’appelle Femme fatale, une histoire d’amour, de duplicité et de meurtre. Enfin, dans la galerie des auteurs qui n’ont jamais été abandonnés sur le bas-côté, quel plaisir presque physique d’avoir en main Le miroir des vanités de Stendhal dans une édition numérotée à 300 exemplaires, accompagnée d’illustrations originales de Joseph-Antoine d’Ornano. On doit ce coup de folie, érudition extrême, qualité cristalline du texte et objet rare aux éditions La Thébaïde, tête chercheuse de l’excellence à la française. Bien malin celui qui peut ouvrir les portes du paradis littéraire, ces trois livres donnent cependant un bien agréable chemin de vie.
Joseph Peyré. Le Béarn pour racines, l’horizon pour destin, Pierre Peyré – Atlantica.
Joseph Peyré, le Béarn pour racines, l'horizon pour destin
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Femme fatale. Une histoire d’amour, de duplicité et de meurtre, Roy W. Brown. Association d’Arts et d’Etudes du Lot.
Le miroir des vanités, Stendhal, La Thébaïde.
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