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Gare… à la statue!

Sur la Place de la Gare à Rotterdam, Big Sister, ou "Big Sista" pour faire jeune, surveille les passants...


Gare… à la statue!
"Moments contained" exposée au salon 'Art Unlimited' à Bâle, le 14 juin 2022 © Georgios Kefalas/AP/SIPA

Sur la Grande place de la Gare à Rotterdam, une statue monumentale d’une femme noire en jogging divise l’opinion. Qu’est-elle censée représenter ? À quel genre d’art de propagande pourrait-elle renvoyer ? Telles sont les questions que pose notre chroniqueur.


Pas la même chose, et pourtant…

Loin de nous l’idée de mettre le wokisme ou le multiculturalisme sur le même plan que des doctrines totalitaires comme le communisme ou le fascisme. Cependant, aux Pays-Bas, les commentaires dithyrambiques et quasi unanimes sur le dernier symbole d’une doctrine qui ne dit pas son nom en agacent plus d’un. De quoi s’agit-il ? D’une statue de bronze haute de quatre mètres représentant une jeune femme noire qui, dans un jogging affaissé, chaussée de baskets et d’un T-shirt nonchalamment ajusté, surplombe la gare centrale de Rotterdam. Dévoilée le 3 juin dernier, elle a fait couler beaucoup d’encre, ou plutôt d’eau bénite, dans une presse majoritairement acquise à sa cause, c’est-à-dire « le vivre-ensemble imposé. » La jeune femme ne porte pas de nom. Son créateur, l’artiste anglo-caribéen Thomas J. Price, connu pour des œuvres similaires en Angleterre et aux États-Unis, l’a baptisée « Moments Contained ». Il faut être fin connaisseur pour y comprendre quelque chose, et les explications de M. Price ne sont pas éclairantes. Mais l’essentiel dans cette histoire n’est pas de savoir si la statue est belle ou laide, à chacun d’apprécier. Ce qui importe ici, c’est le choix d’une œuvre d’art colportant un message idéologique sur une des places les plus courues de la grande ville portuaire; c’est cela qui procure un certain malaise.

Au service de sa majesté multiculturelle

Comme l’Union soviétique et l’Allemagne nazie se servirent d’un art d’État pour inculquer leurs doctrines, ceux qui gouvernent les Pays-Bas se servent de méthodes, certes moins tape-à-l’œil, pour vanter une idéologie qui se veut humaniste. Et même si elles ne sont jamais nommées, les allusions à l’idéal multiculturel sont aussi peu subtiles que la statue de la géante sur la Place de la Gare.

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Là où le sculpteur allemand Arno Breker et des artistes de l’Italie et de l’Espagne fascistes tentèrent de créer une image idéale de l’homme et de la femme de l’ère nouvelle, la version politiquement correcte néerlandaise manque un peu de dignité.  La jeune femme est vêtue de haillons modernes, et de son regard n’émane aucune passion pour l’idéal qu’elle est censée incarner, mais plutôt une indifférence frôlant l’impertinence vers ceux qui, à ses pieds, osent lever le regard vers elle. Elle cadre parfaitement avec la vision multiculturelle des autorités et de certains médias qui, sur ce terrain, ne tolèrent aucune dissidence. Le quotidien NRC, lu par l’élite libérale, déclare sans ambages : « Rotterdam peut s’estimer heureux de cette statue d’une jeune femme noire et sûre d’elle qui symbolise la Hollande contemporaine, moderne et multi-culturelle. » Il faut consulter les réseaux sociaux ou des sites d’information et d’opinions à contre-courant pour trouver des avis contraires. La statue y est décrite comme « un gigantesque doigt d’honneur à tous ceux qui ne partagent pas l’idéologie d’État » : la jeune femme mettrait au défi les passants « d’embrasser la diversité, ou de crever! »

Une minorité parmi bien d’autres

Les symboles abondaient lors de son dévoilement, un après-midi particulièrement chaud sur une Place de la Gare bondée. Le maire de Rotterdam M. Ahmed Aboutaleb et la secretaire d’État à la Culture Mme Gunay Uslu, originaires respectivement du Maroc et de la Turquie, y côtoyèrent un des rarissimes hommes blancs, haut dignitaire du monde de l’art et collecteur de fonds très apprécié pour cette acquisition. Une journaliste d’une chaîne de télévision avoua, hors caméra, qu’elle était émue jusqu’aux larmes devant le spectacle de jeunes danseurs noirs accompagnant la cérémonie de force gestes militants; alors même que, depuis belle lurette, la majorité de la population de Rotterdam est constituée des descendants d’immigrés extra-européens, parmi lesquels les Noirs ne constituent qu’une minorité de plus. L’ennemi blanc est donc plutôt imaginaire.  

Et de son doigt accusateur…

Sur la Place de la Gare, Big Sister, ou « Big Sista » pour faire jeune, surveille les Rotterdamois, les poings serrés dans les poches de son jogging, déclare un admirateur dans la presse locale. De sa position élevée, elle pourra apercevoir la statue du politicien assassiné Pim Fortuyn, éclaboussée maintes fois. Tolérera-t-elle encore longtemps cet hommage à un affreux raciste ? Et ses foudres toucheront-elles ceux qui fulminent contre la sur-représentation de gens issus de la diversité dans le milieu criminel ? Attention, car elle est très soupe au lait, nous prévient son énième admirateur.

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Il reste quelques rares résistants dans les médias traditionnels, telle la chroniqueuse Rosanne Hertzberger, laquelle, liée pourtant au très woke journal NRC, voit la statue comme une « offense » à sa ville. Cela lui a valu des accusations de racisme de la part de membres de la rédaction. Dans son discours, on peut déceler l’angoisse que, dorénavant, autorités et médias ne cesseront de céder à la nébuleuse anti-raciste. Et l’appréhension que, bientôt, ce ne seront plus seulement les collègues qui la condamneront, mais la justice aux ordres de la géante de la Place de la Gare.




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Journaliste hollandais.

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