Le plus grand danger auquel est confronté tout chroniqueur du dernier Star Wars est de basculer d’entrée du côté obscur de la farce en cédant à la tentation du clin d’oeil attendu pour débuter sa critique. Cet article ne débutera donc pas par « Il y a fort longtemps, dans une galaxie très très lointaine » et se satisfera modestement, en guise d’entame, d’un simple aveu d’impuissance : Star Wars, c’est plus fort que toi, on ne badine pas avec une saga dont la suite engrange un milliard de recettes au box-office après une semaine d’exploitation et trente ans d’attente. Les fans de La Guerre des Etoiles sont patients et ils ont entre-temps eu le loisir de faire des enfants, qui escaladent aujourd’hui les sièges des premiers rangs des cinémas pour manger du Dolby et de l’Imax et en très gros plan et connaître cette expérience initiatique : voir à dix ans ou douze ans un Star Wars sur grand écran. En termes de grandes gestes pré-adolescentes, il y avait dans les années 80 la rencontre avec Le Seigneur des Anneaux, avec Star Wars, ou l’odyssée de Michel Platini. Le cycle éternel recommence aujourd’hui, seul Zlatan a remplacé Platini, pour le reste, c’est toujours croiseurs impériaux contre oliphants. Camarade, choisis ton camp.
La Guerre des Etoiles est un monument qui doit inspirer respect et déférence, contrairement à ses concurrents dans la mémoire collective tels que Retour vers le futur ou Ghostbuster, qui assument parfaitement leur statut de comédies d’aventure, ou d’Indiana Jones, assumant simplement le sourire ironique et le chapeau emblématique d’Harrison Ford. Dans Star Wars, on ne rit jamais de Star Wars. L’humour, bien que présent est, comme tout élément de la geste, précisément circonscris et réservé à quelques personnages, ou catégories de personnages, ayant la fonction de faire rire, comme le bouffon des pièces de Shakespeare : C3PO, R2D2, Chewbacca, Harrison Ford, son sourire ironique et son pistolet laser emblématique et les gentils Ewoks (qui sont quand même aussi des anthropophages, il faut le rappeler !). Star Wars est une épopée et l’épopée point tu ne moqueras. Dark Vador n’est pas censé faire rire quand il apparaît à l’écran et si Luke Skywalker peut, à la rigueur, se permettre d’être touchant au début de son apprentissage, c’est à la manière d’un jeune poulain maladroit dont on sait qu’il deviendra par la suite un fier et bel alezan. Et bien sûr personne, j’ai bien dit PERSONNE, n’a le droit de se moquer de la coiffure en forme de pains aux raisins de la princesse Leia. Sauf Mel Brooks, évidemment, qui bénéficie d’une dérogation : quand on a réussi à produire un film drôle prenant pour sujet un projet de comédie musicale sur le Troisième Reich montée par deux imposteurs[1. The Producers. 1969.], on peut tout se permettre, même de faire reprendre le rôle de Dark Vador par Rick Moranis dans La Folle Histoire de l’Espace.
Les réalisateurs et producteurs du nouvel épisode de la saga (tome VII) étaient donc confrontés à un problème aussi simple qu’insoluble : produire de l’épopée et encore de l’épopée, mais une épopée à la hauteur des aventures originales de Luke, Leia, Han Solo et R2D2. Pari presque impossible à tenir : Georges Lucas s’en est douloureusement rendu compte en 1999 en produisant les tant annoncés épisodes I, II et III de la saga. Boursouflés, infatués, assommants de sérieux mais dénués du moindre souffle épique, plus ennuyeux que mille ans de digestion dans le ventre d’un Sarlaac, La Menace Fantôme (1999), L’Attaque des clones (2002) et La Revanche des Sith (2005), condamnaient le spectateur à être lentement rongé par l’ennui face à un défilé de mode galactique, empêtré dans un déluge d’effets spéciaux numériques (et dieu que le numérique vieillit mal, Avatar est là pour en témoigner…), ponctués par les interventions horripilantes du jeune et insupportable Anakin Skywalker ou de l’horripilant Jar-Jar Binks. Perdu dans cette galère, Ewan Mc Gregor jouait un Obiwan Kenobi dont la principale fonction se limitait à garder le vaisseau et à vérifier la pression des pneus, sans oublier de passer un coup de chiffon sur le pare-brise, tandis que son maître allait jouer du sabre laser à droite et à gauche, avant de se faire trucider au cours d’une scène poignante, comme tout bon maître Jedi qui se respecte.
Georges Lucas remercié, J.J. Abrams mandaté par les studios Disney aura donc eu la lourde tâche de rajeunir La Guerre des Etoiles sans porter atteinte au mythe, sous la surveillance pointilleuse des fans de la saga (et dieu sait que les fans ne s’arrangent pas en vieillissant…) et le résultat est plutôt réussi. Comme Lucas avait tenté de le faire avec les épisodes I, II et III, le nouvel opus de Star Wars raconte à peu près la même histoire que la trilogie « historique » : l’Empire (cette fois remplacé par le « Premier Ordre », tout aussi déplaisant et totalitaire) menace la liberté de la galaxie et le seul rempart opposé à son pouvoir est la résistance, réfugiée dans un coin de galaxie, toujours vaillante et généreuse. À la tête des forces du mal, un sombre et puissant personnage, vendu au côté obscur de la force, fait tout pour écraser la résistance : ce n’est plus cette fois Dark Maul, et son maquillage digne de Kiss, qui a la charge de succéder à Darth Vader, mais Kylo Ren, coiffé d’un casque en forme d’abat-jour dépressif et vêtu d’un joli costume japonisant. Et il y a, évidemment, un – ou plutôt Une – jeune Jedi, un sombre mentor, et le combat éternel de la Lumière contre le côté obscur. Quant à la République corrompue qui était au centre des épisodes I, II et III, elle est expédiée en un coup de super-laser. Une manière un peu cruelle de renvoyer définitivement G. Lucas au placard ?
Quitte à reprendre à peu près les mêmes codes et la même trame scénaristique, J.J. Abrams a eu l’idée plutôt heureuse de s’en amuser, avec suffisamment d’habileté cependant pour ne jamais tomber pas dans le crime de lèse-majesté. L’action du Réveil de la force débute sur une planète désertique très similaire à la planète Tatooine, sur laquelle nous rencontrions le jeune Luke Skywalker dans l’opus de 1977, à cette différence près que les vastes étendues sableuses de Jakku sont constellées des innombrables carcasses de croiseurs impériaux, vestiges des guerres passées entre l’Empire et la République, une manière peut-être pour J.J. Abrams de rendre un ironique hommage aux défuntes créations de Georges Lucas, dont la maison de production, LucasFilms LTD, est passée désormais dans le giron de Disney. Tandis que Luke Skywalker menait sur Tatooine une paisible existence de fermier avant de répondre à l’appel de la Force, c’est une jeune pilleuse d’épave, Rey, qui vivote de petites combines sur Jakku, avant de voir le destin frapper à sa porte sous la forme du petit droïde BB-8, sorte de croisement entre R2-D2 et Wall-E. Le duo est bientôt rejoint par un certain Finn, ex-matricule FN-2187, ancien Stormtrooper ayant déserté les troupes du Premier Ordre après une crise de conscience et un massacre de trop. Finn ressemble lui à un parfait compromis entre le jeune Han Solo et Lando Calrissian. Il paraît d’ailleurs que des fans suprématistes de Star Wars se sont déchaînés aux Etats-Unis parce que Finn est joué par un acteur noir, John Boyega. Il leur avait peut-être échappé, durant plus de trente ans, que Lando Calrissian, le copain pilote de Han Solo, était aussi joué par un acteur noir, Billy Dee Williams. Et puis après tout, il n’y a pas de quoi se formaliser, tant qu’ils n’enlèvent pas leur casque, tous les Stormtrooper sont blancs, comme la nuit tous les chats sont gris.
Plus qu’un récit vraiment original ou une vraie réinvention de la saga, la véritable qualité du film de J.J. Abrams réside dans ce mélange assez réussi entre récit épique et plaisamment naïf et une manière assez subtile de moquer gentiment les codes de l’épopée galactique et du film d’aventures en général. Il est assez amusant de voir ainsi la jeune Jedi Rey sauver son ami Finn des griffes d’une version lovecraftienne du diable de Tasmanie de Tex Avery en actionnant au bon moment le sas d’un vaisseau grâce aux écrans vidéos des caméras du vaisseau, un peu comme si le réalisateur permettait un bref instant aux spectateurs de passer dans les coulisses de l’exploit. A un Finn éberlué qui n’en revient pas que la porte ait pu sectionner le tentacule au moment fatidique, la jeune Rey répond, comme dans tout bon film d’aventures qui se respecte, qu’il s’agit juste d’un fabuleux coup de chance. Et quand Han Solo, de trente ans plus vieux, même sourire ironique et même pistolet laser, découvre, sur la classique projection holographique du QG de la résistance, une nouvelle Etoile Noire qui fait bien dix fois la taille de celle du Retour du Jedi, il n’a qu’une réplique : « elle est plus grosse, mais en quoi ça empêche de la détruire ? » La réplique résume à elle seule la formule épique de J.J. Abrams : on prend les mêmes et on recommence, avec un soupçon de dérision qui ne nuit en rien.
Il n’y a que le personnage de Kylo Ren qui pousse un peu loin le bouchon en termes de caricature amusante, mais dans ce cas précis elle n’est peut-être pas tout à fait assumée. Les spectateurs du Réveil de la force se sont amplement gaussés de cet avatar loupé de Dark Vador qui, dès qu’il a retiré son casque de samouraï interstellaire découvre le visage ingrat d’un adolescent à problème qui nous gratifie dans le film de jolies crises de nerfs. Sitôt à visage découvert, il ne nous donne qu’une envie : lui tirer l’oreille et l’amener chez le coiffeur. Mon petit Kylo, on reparlera de la conquête de la galaxie quand tu auras soigné cette mauvaise peau, en attendant tu vas te coller un peu d’eau précieuse sur la tronche, remettre ton lampadaire art-déco sur la tête et ranger ta chambre. Et tu m’écoutes s’il-te-plaît, je suis ton père. Allez, file et que la force de Biactol soit avec toi.
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