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Stages ? Stop !


Stages ? Stop !

Une des choses à déplorer dans la mobilisation actuelle de la jeunesse, c’est l’absence totale de stratégie offensive, qui aurait pour ressort l’amélioration de l’accès à l’emploi des jeunes. D’après les enquêtes, la jeunesse française serait la plus pessimiste d’Europe. Avec la lutte pour le maintien de la retraite à 60 ans, elle rumine son pessimisme. Et c’est affligeant.

D’autres slogans pour la jeunesse ?

Au lieu d’assister à la défense des acquis sociaux, perçus comme inaliénables alors même qu’ils ne sont plus compatibles avec la réalité démographique de notre pays et la concurrence forcenée imposée par la mondialisation, au lieu de constater que c’est une fois de plus la peur de la précarisation plus que la volonté de changement qui anime la révolte de la jeunesse, j’aurais aimé voir une jeunesse mobilisée pour l’ouverture et la souplesse du marché de l’emploi qui, à l’heure actuelle, semble lui fermer ses portes, même aux plus diplômés d’entre elle.

J’aurais voulu lire sur les pancartes des manifestants des slogans comme « Abolissons les stages », « Embauchez-nous directement en CDI, vous ne le regretterez pas » ou encore « Mon CDI parce que je le vaux bien » plutôt que « Ma retraite à 60 ans ». Manifester pour en finir avec les stages aurait été, à mon sens, plus judicieux parce que cette revendication aurait fait sortir la politisation des jeunes du carcan impulsif et émotionnel, dans lequel le mouvement contestataire des lycéens et étudiants s’est enfermé, en lui offrant un contenu positif et proactif.

L’image de la jeunesse menaçante, infantile et pessimiste aurait alors été recouverte par le visage d’une jeunesse plus responsable, soucieuse de mener un combat dont la victoire est cruciale pour réenchanter le travail et redonner confiance dans l’avenir de notre société. Car, au-delà du symbolique, cette revendication pour interdire les stages, surtout lorsque les jeunes diplômés ont atteint un niveau d’étude et de formation suffisant, est bien légitime, tout simplement pour débloquer les embauches et redonner leurs justes valeurs aux diplômes et aux diplômés.

On pensait que les stages constituaient une solution pragmatique pour mieux articuler formation théorique et expérience pratique, pour mieux ajuster le monde universitaire au monde de l’entreprise. En réalité, les stages sont bien souvent une voie sans issue. Non considérés comme expérience professionnelle, ils sont invendables sur le marché de l’emploi.

Certes, l’idée des stages était bonne en théorie, mais en pratique elle est devenue nuisible. Son application va à l’encontre de l’objectif fixé. Au lieu d’insérer le jeune diplômé dans la vie active, le stage le marginalise. Curieux paradoxe, me direz-vous, mais c’est malheureusement bien souvent le cas.

Les étudiants accumulent les stages sans déboucher la plupart du temps sur un emploi stable et valorisant. Les entreprises en offrent à la pelle sans créer de véritable poste. Nombreuses sont celles qui fonctionnent en grande partie par le défilé permanent de stagiaires. Evidemment, c’est plus rentable que d’embaucher directement en CDI.
Certes, un étudiant qui n’a pas fini ses études et doit faire un stage pour valider son année, le stage lui offre ce qu’il attend, un aperçu, rémunéré au minimum 30 % du Smic, du monde du travail.

Les stages entretiennent un climat malsain

Mais la situation n’est plus la même lorsque le jeune diplômé, qui a déjà effectué plusieurs stages, se retrouve sur un marché du travail où seuls des stages lui sont proposés alors qu’il ne peut plus en faire, n’étant plus étudiant. Stagiaire à vie n’est pas franchement une solution pour devenir un jeune adulte actif, capable de construire sa vie professionnelle et privée. Au final, les stages entretiennent un climat malsain.

D’un côté, les jeunes diplômés éprouvent à la fois incompréhension face à la dévalorisation de leurs diplômes, qui ne constituent plus un facteur discriminant à l’embauche, et ressentiment face au déficit de reconnaissance de leur travail lors de leurs stages. De l’autre côté, il y a une certaine frilosité de la part des entreprises qui appréhendent d’embaucher un jeune diplômé avec le statut de cadre, puisqu’elles ne sont pas certaines de la rentabilité de sa formation et qu’elles refusent de payer des charges supplémentaires alors que le même travail peut être effectué par un stagiaire qui coûte beaucoup moins.

En cela, le système français fonctionne à l’opposé du système anglais. Les universités anglaises délivrent une formation intellectuelle qui permet à leurs étudiants de s’adapter. Les jeunes Anglais sont embauchés à des postes qui n’ont, bien souvent, rien à voir avec la nature de leurs diplômes et on ne leur demande pas d’être formés avant d’entrer dans l’entreprise. Ils le sont lorsqu’ils prennent leurs fonctions et apprennent leur métier sur le terrain en accédant rapidement à des responsabilités, tout simplement parce que le pacte passé entre les jeunes diplômés anglais et les entreprises est un pacte de confiance. C’est cet esprit qui manque cruellement en France.

L’absence de prise de risque

Tout le problème est là. Au-delà d’une politique de l’emploi trop contraignante pour les entreprises françaises, il y a surtout l’absence de prise de risque, la crainte de miser sur la perfectibilité, et donc le refus de faire confiance dans la capacité des compétences à s’épanouir dans le cadre de l’entreprise, en apportant un bénéfice qui rentabilisera nettement sur le long terme le coût déboursé à l’embauche.

Parier sur le potentiel et investir dans la pluralité et la compatibilité des qualités individuelles, voilà qui redonnerait de l’optimisme dans le monde du travail et stimulerait la volonté de donner le meilleur de soi-même.

Alors, à la question que posait Émile Zola à la fin de sa Lettre à la jeunesse « Où allez-vous jeunes gens, où allez-vous étudiants, qui battez les rues, manifestant, jetant au milieu de nos discordes, la bravoure et l’espoir de vos vingt ans ? », j’aurais aimé entendre notre jeunesse lui répondre : « Nous allons crier notre fougue pour du travail gratifiant. »



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