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Spécial polisson


C’est bien tardivement que nous apprenons la mort de Michel Gourdon, survenue le 15 mars 2011 à plus de 85 ans, dans une indifférence presque générale. Et pourtant, Michel Gourdon n’est pas pour rien dans la construction de l’imaginaire érotique de nombreux jeunes garçons (et jeunes filles, qui sait) qui ont aujourd’hui dépassé la quarantaine. Il était en effet l’illustrateur des couvertures des Editions Fleuve Noir de la grande époque, entre 1950 et 1980. On a du mal aujourd’hui à se souvenir de ce qu’était vraiment la littérature de gare jusque dans les années 1970 quand le militaire en permission, l’ouvrier rentrant du turbin ou le notaire encanaillé avaient mieux à faire que se planter devant une téloche réduite à deux chaînes et arrêtant ses programmes à minuit.

Face à la Série Noire et à sa couverture janséniste tout aussi noire au liseré blanc, Fleuve noir avait choisi d’attirer l’œil du chaland avec les dessins de Gourdon qui œuvrait pour la plupart des collections proposées par la maison : « Spécial Police » avec ses couvertures aux couleurs criardes et « Espionnage en noir et blanc », la Guerre froide comme on la rêvait. Sans compter les collections plus éphémères comme « Angoisse » – qui donnait dans le fantastique – ou encore « L’Aventurier » et « Feu ».

Les auteurs de ces collections étaient surnommés les forçats de l’Underwood[1. Le forçat de l’underwood de G. Morris Dumoulin, récit passionnant de la vie d’un de ces écrivains en bâtiment] car ils produisaient jusqu’à quinze ou vingt romans par an pour la maison, et dans tous les genres.
Comment aurait-il fallu, en ce cas, appeler Michel Gourdon qui fournissait toutes les illustrations, à l’exception de celles de la collection « Anticipation », ce qui signifie que durant trente ans, il en a concocté plus de vingt par mois ?

Et pourtant, elles ont marqué, ses couvertures ! Sur une table de nuit paternelle ou une serviette de plage durant les étés en Bretagne, on entrevoyait soudain les cuisses interminables et les seins nus d’une blonde au visage angélique en train de se faire sadiser plus ou moins brutalement par un espion viril qui sentait bon l’eau de toilette et la défense des valeurs occidentales contre la subversion communiste. Si par chance c’était un volume de la collection « Angoisse », on fantasmait sur la brune Méphista qui était une assez bonne initiation à la figure de la dominatrice en cuir noir.

L’incomparable bonheur des lectures en cachette pouvait commencer par la recherche impatiente du passage correspondant à la scène décrite, ce qui n’arrivait pas souvent – on ne voit pas comment Gourdon aurait eu le temps de lire tous les livres qu’il illustrait !

Parmi les premières couvertures que Michel Gourdon a réalisées pour le Fleuve Noir, il faut citer celle de Méfiez-vous des blondes, un roman devenu introuvable de Michel Audiard ; la dernière illustre un San Antonio de 1978, Ma langue au Shah. D’ailleurs, tous les lecteurs de San Antonio s’accordent à le penser, dans leur imaginaire, c’est Gourdon qui a définitivement fixé les traits du plus célèbre commissaire français et non les hideuses photos qui succédèrent à ses dessins.

Profitons-en pour rendre hommage à son frère (toujours vivant), Aslan, également illustrateur et dans un style assez voisin. C’est que les jeunes gens de ces années là lui doivent aussi beaucoup car il dessina les inoubliables pin-up de LUI entre le début des années 60 et l’arrivée de Mitterrand au pouvoir. C’était le temps béni où les magazines de charme existaient encore, n’avilissaient pas les femmes mais, nous semble-t-il, les célébraient de manière assez lumineuse [2. Nous devrons une gratitude éternelle à tout Causeur retrouvant ce numéro de Lui, datant du bouillant été 76, où l’on voyait Marie-Hélène Breillat, qui jouait Claudine pour la télévision, posant nue et en dentelle. Ecrire à la rédaction] et où l’épilation intégrale n’était pas devenu la nouvelle et pénible doxa érotique.
On va encore me traiter de réac…



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