Chez Causeur, vous savez causer. Vous maniez la rhétorique avec un art consommé. Vous accuse-t-on, souverainistes que vous êtes, d’être dogmatiques, d’avoir la religion de l’État-nation, de croupir dans une nostalgie moisie ? Vous retournez ces flèches, une par une.
En couverture du magazine de janvier, vous affichez un pragmatisme de bon aloi (« Et si on essayait la France ? ») ; puis, dans un éditorial habile, vous comparez les pro-européens aux « croyants » d’une « secte » ; le plus fort, c’est ce titre, « Le réveil de l’Europe moisie » : beau retour à l’envoyeur d’un mot qui vous colle aux basques depuis la célèbre tribune de Philippe Sollers[1. « La France moisie », Le Monde, 28 janvier 1999.] dans laquelle l’écrivain fustigeait nos pulsions xénophobes et cocardières.
À vous lire, c’est donc l’idée européenne qui serait finie, moisie, morte.[access capability= »lire_inedits »] Pour en arriver à cette conclusion, vous passez par un parfait faux syllogisme : 1. L’Europe, aujourd’hui, est dans un état catastrophique ; 2. Les pro-européens ont fait cette Europe ; 3. L’idée européenne est morte, il faut revenir à nos États-nations. Je vous suis pleinement sur le premier point : oui, l’UE est opaque et lointaine, elle est plus bureaucratique que démocratique, elle a aggravé les problèmes économiques en infligeant aux peuples une potion déflationniste digne des années 1930.
Mais les deux suivants relèvent de la mauvaise foi. À vous lire, les partisans de l’Europe (que vous désignez d’un bloc comme les « fédéralistes », une façon de nier les nuances des positions…) seraient les auteurs de ce gâchis. Eh bien non, désolé : ils sont les premiers cocus de cette histoire. L’Europe ne ressemble pas du tout à leur rêve d’Europe, car les égoïsmes et les rivalités des États-nations que vous chérissez l’ont emporté. L’Union monétaire a été prise en otage par l’Allemagne, pendant que la France refusait systématiquement toute avancée vers une union plus politique et plus démocratique (proposée par Helmut Kohl en 1989, Karl Lamers et Wolfgang Schäuble en 1994, Joschka Fischer en 2000…). Si l’Union monétaire fonctionne si mal, c’est aussi parce qu’on l’a privée de son pendant, l’Union économique. Si l’Europe fonctionne si mal, c’est à cause de toutes ces réticences à aller plus loin dans l’intégration communautaire.
Deux voies sont possibles pour sortir de cette nasse. La mienne, celle d’une autre Europe, radicalement différente ; la vôtre, celle du repli sur l’ancien modèle, l’État-nation. La première est utopique ? OK, mais « l’utopie, c’est simplement ce qu’on n’a pas encore essayé » (Théodore Monod). La seconde, elle, est clairement irréaliste.
Elle fait mine d’ignorer que l’Europe existe déjà, très concrètement, comme espace politique, économique et culturel très intégré. Elle oublie, surtout, que la simple coopération entre États-nations et la règle de l’unanimité ne sont plus du tout efficaces pour répondre aux défis d’aujourd’hui.
Proposer d’« essayer la France », c’est proposer de revenir au Minitel pour corriger les travers d’Internet. La voie que vous indiquez, enfin, relève de la stratégie de résignation. Pessimiste, craintive, elle repose sur un mythe mortifère, celui d’un âge d’or fantasmé – une France projetant sa puissance. Un mythe, c’est bien pratique pour exciter les esprits en cette période de crise, mais cela se nourrit toujours d’une marée d’illusions. Je préfère, pour ma part, la voie optimiste.
Je préfère « essayer » non pas la France, mais une autre Europe : avec moins de pays, sur des bases vraiment démocratiques et lisibles. Et avec, au cœur, l’idée de solidarité et non celle de rivalité.[/access]
*Photo : wikicommons.
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