L’écrivaine, prix Nimier 2022, passe avec brio l’épreuve du deuxième roman avec Sous un ciel de faïence
Le premier roman de Céline Laurens, Là où la caravane passe, publié en 2022, a rencontré le succès. Le Prix Roger Nimier lui a même été attribué. Comme souvent la critique attend au tournant l’auteur d’un deuxième ouvrage. Céline Laurens confirme son talent en récidivant de fort belle manière. Elle nous entraîne dans les couloirs insalubres du métro parisien en compagnie de Jacques, conducteur de rame sur la ligne 6, puis sur la ligne 12 (suite à un blâme), pour finir comme voyageur sur la ligne 1, automatisée, terminus Bérault. Dans une langue efficace et parfois poétique, maniant l’ironie voltairienne et l’absurde à la manière de Beckett, nous découvrons un monde chtonien méconnu.
Il est rare, reconnaissons-le, que nous nous attardions par curiosité dans les boyaux du métro, éclairés par des néons de salle d’urgence. Ça commence comme dans un conte. Jacques vient d’être embauché, il est dans la cahute où l’on renseigne les voyageurs, à la station Madeleine. Il va rencontrer la femme de sa vie, prénommée Madeleine. Il fallait oser l’écrire. Mais Céline Laurens ne manque pas d’audace. La future épouse de Jacques possède un sacré tempérament. Elle est impulsive, aime la castagne verbale, et surtout elle est hypocondriaque au dernier stade. Elle serait capable de filer d’intolérables angoisses à un ver de terre. « Croyez-le ou non, s’écrie le narrateur de ce récit haut en couleur, elle m’avait même fait le coup du cancer de la prostate et ce n’était pas de m’entendre ricaner qui l’avait fait se sentir horriblement humiliée, mais de savoir qu’elle ne pouvait pas développer une maladie dont elle avait pourtant tous les symptômes parce que : ‘’ C’est encore l’apanage des hommes ! »
Ligne 12, un détour par l’enfer
D’autres personnages viennent se mêler à cette ronde infernale souterraine, ils semblent sortis d’un tableau de Jérôme Bosch : poète baudelairien, chanteur alcoolisé, paumé camé… Tous traînent leur misère sous le ciel de faïence des stations et couloirs de la ligne 6. Et puis il y Amandine, punk à chien, sans chien, encore plus destroy que les autres. Elle me fait penser à Virginie Despentes, période crade, quand elle zonait dans les rues de Bourges, avec ses clébards retors. Amandine est très réussie parce qu’on regrette sa mort.
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Le roman de Céline Laurens est également captivant car il nous montre la face sombre du métro. Amandine, grâce à Jacques, peut dormir à Charles-de-Gaulle-Étoile dans son wagon garé à une intersection de tunnel, lovée dans une couverture de laine, pendant que les touristes s’émerveillent en surface. La ligne 12, ancienne ligne A de la société Nord-Sud, ouverte au début du XXe siècle, est décrite de façon réaliste, n’en déplaise à Anne Hidalgo et son équipe. Jacques : « Je voyais la station Max-Dormoy envahie par des hordes de junkies, volant les passagers, fumant leur merde aux yeux de tous, maigres, jaunes, le regard luisant les traits hargneux, comme des porcs avides se jetant sur le moindre objet tombé de l’une des poches des voyageurs. » Et encore : « Même les flics n’osaient plus pénétrer dans la station. »
Sans révéler la fin du récit, on peut dire que ce monde underground est sans loi, une fois les rames à l’arrêt. Il n’est donc pas étonnant qu’il conduise au meurtre. Le voyageur, après avoir refermé Sous un ciel de faïence, ne pourra plus oublier la violence et la pestilence du métro parisien.
Céline Laurens, Sous un ciel de faïence, Albin Michel
Sous un ciel de faïence: Récit des habitants du monde d'en bas
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