Sous-marin « Titan » en perdition : des débris du submersible ont été retrouvés près de l’épave du Titanic. L’amiral John Mauger, qui dirigeait les opérations de secours, considère que les cinq passagers sont morts. L’engin pourrait avoir implosé.
« Là où il est à présent, il est heureux. »
Vive émotion, cela va de soi. Pensées et compassion sincère pour les familles, les proches, les amis des victimes du Titan, le minuscule sous-marin des profondeurs abyssales. Parmi ces victimes, un Français, Paul-Henri Nargeolet, dont on peut dire, sans grand risque de se tromper, que l’exploration des grands fonds et singulièrement ceux où repose l’épave du mythique Titanic aura été la fabuleuse affaire de sa vie. Sa passion de toujours. Ceux qui le connaissaient soulignaient son extrême compétence, la lucidité et le sérieux avec lesquels il s’engageait dans chacune de ses aventures maritimes. Ils ont pu croire jusqu’à ces dernières heures que cette longue expérience et ces qualités exceptionnelles suffiraient à prémunir leur ami contre le pire. Néanmoins, le pire est survenu. Vive émotion, en effet, et compassion. À dessein, j’oserai éviter le mot de tristesse. Ce mot-là me semble en effet assez peu convenir aux fins, si tragiques soient-elles, qui viennent sceller les destinées pleinement abouties. La fille de Paul-Henri Nargeolet a exprimé magnifiquement cette forte et profonde vérité. Évoquant le drame, la mort de son père, elle a dit tout simplement : « Là où il est à présent, il est heureux. »
A lire aussi, du même auteur: Être né quelque part…
Suicide à la Romaine
Je me prends à penser que tout aventurier authentique berce en lui une sorte de vertige inconscient qui l’amènera inexorablement à tenter l’aventure de trop. Partir au plein feu de sa passion, partir au meilleur de soi-même. Anticiper sur le déclin, la lassitude, la mise au rebut. Cela s’inscrit plus ou moins dans le registre de ce qu’on a pu appeler « le suicide à la Romaine ». Des généraux, de grands soldats faisant crânement le choix de quitter ce monde alors même qu’ils étaient au zénith de leur gloire militaire. Se survivre en se donnant la mort. Pour l’aventurier vrai, ce serait se vouloir le maître de son destin jusqu’à céder, oui, je le crois, à la tentation de l’aventure de trop et du risque qu’il ne fallait prendre. Celui-là meurt heureux. C’est certain. La fille du disparu l’a bien senti, l’a bien compris. En se faufilant dans ce dérisoire engin, son père s’embarquait en fait pour l’accomplissement de son destin. Une très belle nouvelle de Jorge Luis Borges évoque un semblable fatum. Un homme un jour prend un train. Sans motif véritable et sans but réel. Des centaines de kilomètres plus loin, il descend dans une gare paumée, déserte, au milieu de nulle part, un endroit où il n’a rien à faire. Strictement rien, sinon y mourir. Car c’est là qu’il meurt, c’est là qu’il devait rencontrer son destin. Point final. Aucune explication autre à chercher. Pour le naufragé français du Titan, on se posera évidemment dix et 100 questions : pourquoi lui si rationnel, si raisonnable, si expérimenté, si aguerri est-il monté à bord de cet incertain engin ? Pourquoi ? Pourquoi ? Or, il n’y a pas de pourquoi. Il y a juste une destinée qui suit son cours et s’achève. Et c’est très bien ainsi.
Je me souviens. Éric Tabarly a lui aussi péri en mer. Sa compagne, interrogée sur ce que ce drame lui inspirait, a eu ces mots très beaux, très vrais, très forts : « La mer nous l’a donné, la mer nous l’a repris. »
Ainsi vivent et ainsi meurent les princes de l’aventure.