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Les dents de la Seine

"Sous la seine", un film de Xavier Gens, sur Netflix


Les dents de la Seine
Bérénice Béjo, "Sous la Seine" de Xavier Gens, 2024 © Netflix

Le nouveau film de Netflix a beau être un navet, nous en conseillons tout de même le visionnage à Anne Hidalgo, avant son plongeon miraculeux prévu à la fin du mois dans le fleuve qui passe sous les fenêtres de son bureau de l’Hôtel de Ville.


La naïade Hidalgo fera-t-elle trempette dans le fleuve le 23 ou le 30 juin, comme promis ? Le collecteur d’eaux usées VL8 ne sera opérationnel qu’en juillet, dit-on. Les mesures de pollution réalisées cet hiver détectent toujours la présence alarmante d’entérocoques et d’eschuerochia coli réchappés, vous l’aurez compris, de nos fondements mammifères mêlés aux fientes de ragondins, de pigeons et de surmulots. Sans compter ce fameux acide trifluoroacétique (TFA pour les intimes), « polluant éternel » de la famille des polyfluoreakylées (PFAS) issu de la dégradation des pesticides. Et les silures, ce poisson charognard équipé de 1500 dents râpeuses, bestiole dont la taille peut atteindre 2 mètres 80, et qui colonise désormais nos rivières. Bref, le bain de foule dans les saumâtres profondeurs de la Seine n’est pas gagné d’avance.

Mais la vaillante édile, c’est bien connu, n’a peur de rien. On lui recommandera pourtant, avant d’enfiler sa combi, de mater Sous la Seine, sur Netflix, dans ses heures creuses. Le blockbuster à 20 millions de dollars va peut-être, qui sait, refroidir ses envies d’immersion ? Si Paris a rarement été aussi bien filmé sous le soleil – ses berges, ses ponts, ses monuments… – le cauchemar s’installe dès qu’on pique une tête : algues en suspension dans le liquide verdâtre, sol jonché de débris… Tout contre-indique la baignade fluviale s’il faut en croire Xavier Gens (The Divide, Farang…), dont la caméra subaquatique, c’est le moins qu’on puisse dire, ne livre pas le tableau d’un cours d’eau aseptisé.

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Scientifique traumatisée par le charcutage de son équipe, dont son mari, par un squale mutant sous les Tropiques il y a trois ans (voilà pour le prologue), Sofia Assalas (Bérénice Béjo) s’est repliée sur l’Aquarium du Trocadéro, où elle officie auprès des groupes scolaires. Quand, hasard des circonstances, Mika (Léa Léviant), sa pote écolo-lesbienne, l’alerte à bon escient : Lilith, requin femelle tracé par une balise, a franchi l’Océan ; elle s’est adaptée à l’eau douce ; elle remonte à contre-courant depuis Le Havre, vers la capitale. Pour Mika l’activiste, il faut sauver la soldate Lilith. Mais voilà : on est à une semaine du Triathlon de Paris, coup d’envoi pour les JO sur la Seine, dont la maire (Anne Marivin) s’apprête à faire l’annonce (« Certains en ont rêvé ; beaucoup en ont parlé ; je l’ai fait ! »)  

Doit-on fermer les écluses ? Pour la brillante ichtyologue Sofia, le péril est à nos portes. Elle trouvera un allié dans Adil (Nassim Lyes) un ex de la « grande muette » reconverti dans la police, jeune et viril lieutenant de la brigade fluviale. Reste à convaincre Madame la maire et son chargé de com (genre cravaté barbu poivre et sel). «  Vous ne vous rendez pas compte, 1,7 milliard, c’est le budget pour assurer cet événement. Démerdez-vous ! », dit-elle en fixant la maquette de la métropole, étalée dans son bureau. « Mon Paris ! », soupire l’édile (dont l’apparence renverrait plutôt au style Pécresse collet monté qu’au look débandé de l’ibère Hidalgo). Entre temps, le squale tueur se sera quand même bafré une ventrée de candides militant(e)s écolo, particulièrement aveugles au danger – bien fait pour eux (elles). Le cynisme l’emportant sur toute autre considération, la blondasse échevine bouchée à l’émeri ordonne au préfet de mettre la bride sur les réseaux sociaux : car elle y tient, à son triathlon !  « Rien qui puisse gâcher la fête », claironne la conne.

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Elle ignore que les poissons mutants et carnassiers, « comme des larves dans une ruche », se reproduisent désormais par parthénogénèse – c’est-à-dire sans besoin du mâle. L’intervention de la brigade fluviale pour dynamiter l’invasion se solde par une plongée sanglante dans les eaux troubles des catacombes (du sol desquelles, remuées par l’explosion, remontent bientôt les obus de la Seconde Guerre mondiale)… Qu’importe, Madame la maire ne veut rien savoir : « les requins, s’ils existent, je m’en féliciterai. Cela voudra dire que notre travail de dépollution a bien fonctionné ». Au jour J, en plein cœur de la capitale en liesse, elle « déclare le triathlon de la Seine ouvert ! ».  

Visuellement, le résultat est à la hauteur de ce que permet aujourd’hui l’image numérique arrivée à maturité : le lancer, dans le clapot du fleuve sous l’azur, des nageurs par centaines coiffés de bonnets étincelants, meute humaine promise à se voir dévorée toute crue sous les hurlements de la foule – le gore y atteint au plus parfait burlesque. Le spectacle pourrait s’arrêter là : sur la faillite absolue – prémonitoire ? – de l’événement sportif.  Mais Xavier Gens ne se prive pas de gratifier encore le spectateur d’un dénouement grandiose, stupéfiant, incroyablement  photogénique. Et propre à nous défier de l’eau qui dort. On vous en laisse l’excellente surprise.

Sous la seine. Film de Xavier Gens. Avec Bérénice Bejo, Nassim Lyes… France, couleur, 2024. Sur Netflix.



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