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Sous la botte, la beauté

Leni Riefenstahl n’avait peur de rien


Sous la botte, la beauté
Comité international olympique D.R

Les Jeux olympiques lui doivent beaucoup, le IIIe Reich aussi. Portée par la chance et guidée par l’opportunisme, Leni Riefenstahl a mis son talent au service du nazisme. Ses images mythiques et ses amitiés douteuses ont occulté son génie.


La dame aura poussé loin la coquetterie : franchir le cap des 100 ans et mourir dans son lit, une nuit de septembre 2003, à peine remise de ses fractures dues à la chute de l’hélicoptère mitraillé avec lequel elle fuyait la guerre civile au Soudan… Leni Riefenstahl n’avait peur de rien.

Ayant passé son examen de plongée en 1972, elle photographie encore, à 90 ans révolus, les fonds marins des Maldives, pour lesquels elle s’est prise d’une chaste passion. Dix ans plus tôt, son objectif a immortalisé les Noubas, tribu de somptueux guerriers africains au corps peint, scarifié, que la civilisation occidentale n’avait pas encore atteinte. Succédant à l’administration anglaise du Soudan, le régime arabo-musulman a mis moins de vingt ans à clochardiser cette peuplade « primitive », anéantie sous la férule de l’islam.

Comité international olympique D.R

Leni Riefenstahl était tombée un jour sur un cliché noir et blanc signé George Rodger : un lutteur nu, athlète juché sur les épaules de son adversaire, en vainqueur. Dès lors, elle n’a eu qu’une idée en tête : filmer l’éden inviolé de l’Apollon soudanais. En 1962, la Lufthansa finance son expédition. Mais les lourdes caméras 35 mm sont intransportables en brousse : d’où le repli vers la photo. Leni passe plus de huit mois parmi les indigènes et y retourne jusque dans les années 1970, assistant, « impuissante, à la déchéance des Noubas », comme le raconte Jérôme Bimbenet dans la biographie que réédite à bon escient Tallandier.

« Où est ma faute ? »

Son titre ? Leni Riefenstahl : la cinéaste d’Hitler. Une publication qui tombe à pic pour les JO de Paris ! Car Leni Riefenstahl ne s’est pas contentée de shooter les derniers « bons sauvages », elle a aussi réalisé Les Dieux du stade, documentaire que lui a commandé le Führer en 1936 à l’occasion des « Olympiades » de Berlin, comme on disait alors.

Ses fréquentations la poursuivront d’un durable ostracisme dans la fraîche RFA, et bien au-delà. D’autant que « Leni Riefenstahl est morte comme elle a vécu, sans la moindre once de remords, de culpabilité, de conscience politique, dévorée par un ego surdimensionné. Jusqu’à la fin, note son biographe, elle aura posé cette question : “Où est ma faute ?” » De fait, ses assiduités auprès d’Adolf, jointes à d’ardentes compromissions avec le gratin du Reich n’ont pas arrangé la suite de sa carrière.

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Rembobinons. Dotée d’un physique attrayant malgré son léger strabisme, douée d’une confiance en soi et d’un culot à toute épreuve, cette fille de la bourgeoisie d’affaires cumule les atouts : gymnaste, patineuse, championne de tennis, cavalière, elle est aussi pianiste (le compositeur Busoni lui dédie une Valse-Caprice), matheuse… et spirite, mais surtout, danseuse – au point de devenir, dans les années 1920, une véritable star. Une torsion du genou décide de sa reconversion à l’écran. Comme figurante, d’abord, puis comme vedette de films de montagne. Idolâtrée par son producteur, passion blanche dont elle se console dans les bras de l’acteur, du cadreur (puis de quantité d’amants sa vie durant), Leni Riefenstahl « apparaît déjà comme l’héroïne combattante de l’Allemagne, une vierge guerrière, une walkyrie ».

L’adolescente apolitique a traversé « les soubresauts de la Grande Guerre sans prendre bien conscience des événements ». Adossées à une folle ambition, ses convictions ne sont guidées que par l’esthétique : de là son « attirance pour la beauté géométrique et parfaite des corps » ; et la mystique nazie lui en propose l’incarnation. Pour autant, Leni n’a jamais pris sa carte du parti. « Je ne suis heureuse que lorsque je vois quelque chose de beau. La laideur, la misère, le pathologique me répugnent. Diriez-vous que la beauté est fasciste ? » se défendra-t-elle.

D.R

Leni a toujours prétendu n’avoir jamais entendu parler d’Hitler avant 1932. En attendant, de La Montagne sacrée à La Lumière bleue et du « muet » au « parlant », elle enchaîne les films de montagne – devant, puis derrière la caméra. Télégrammes élogieux de Douglas Fairbanks, de Chaplin. Elle lit Mein Kampf. Elle écrit : « Très honoré M. Hitler, pour la première fois de ma vie, j’ai assisté voici peu à un meeting politique. Je dois avouer que votre personne et l’enthousiasme des spectateurs m’ont impressionnée. Je souhaiterais faire personnellement votre connaissance. Une réponse de votre part me réjouirait grandement. » Alors que Leni s’apprête à tourner SOS Iceberg, gros budget, Adolf lui fixe rendez-vous. Promenade en bord de mer ; fascination réciproque. Le jour même où sort SOS Iceberg en Allemagne, Leni entame le tournage de Victoire de la foi – son initiation au film de propagande. En remerciement, Adolf lui offre une Mercedes décapotable. Entre-temps, il a été nommé chancelier. Courtisée par Goebbels (à qui elle voue par la suite une détestation absolue), assidue de Speer (qui a alors 28 ans), Leni se voit aussitôt commander la réalisation d’un film dont Hitler a choisi le titre, celui du congrès de Nuremberg : Le Triomphe de la volonté.

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Survol en dirigeable, caméras fixées à des ascenseurs, techniciens par centaines : le rassemblement de septembre 1934 (500 000 figurants !) est conçu d’emblée comme le plateau d’un film à grand spectacle. Immense succès, le film est montré par la toute nouvelle Cinémathèque française lors de l’Exposition universelle de 1937. « Le seul chef-d’œuvre du cinéma allemand de ce temps », tranche Henri Langlois.

Richard Strauss écrit l’hymne des Jeux olympiques de 1936, et à sa cinéaste officielle, le régime ne lésine plus aucun moyen. Budget colossal, donc, pour Olympia, puis Les Dieux du stade et enfin Jeunesse olympique. Leni y multiplie les innovations technologiques. « Les Jeux de Berlin furent les premiers de l’ère médiatique », observe Bimbenet. Dans toute l’Europe, le triptyque est un triomphe. Mérité.

« La vie de Leni Riefenstahl, c’est cent ans de travelling dépourvu de morale », écrit pour sa part Antoine de Baecque. La Führerin du cinéma allemand l’a payé cher.

À lire

Jérôme Bimbenet, Leni Riefenstahl : la cinéaste d’Hitler, Tallandier, 2024.

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Article extrait du Magazine Causeur




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