Une solution a été bricolée à la dernière minute par les instances sportives françaises pour que l’athlète Sounkamba Sylla, qui porte un voile islamique, puisse participer à la cérémonie d’ouverture des JO… La sprinteuse arborait une casquette agrémentée d’une bande de tissu cousue main, afin de dissimuler entièrement sa chevelure.
Éclipsée par les commentaires sur la dimension carnavalesque de la cérémonie d’ouverture, l’athlète Sounkamba Sylla a donc pu y participer avec une « casquette » au lieu d’un voile islamique – disons plutôt, pour être honnêtes : avec un voile à visière. Accommodement raisonnable…. ou pas ? L’avenir le dira. Mais ce qui est immédiatement frappant, c’est la constance avec laquelle la plupart des arguments avancés à ce sujet évitent soigneusement l’essentiel, et rivalisent de mauvaise foi.
L’hypocrisie du CIO
Ainsi, Sounkamba Sylla elle-même avait déclaré : « Tu es sélectionnée aux JO, organisés dans ton pays, mais tu ne peux pas participer à la cérémonie d’ouverture parce que tu portes un foulard sur la tête », ce qui est évidemment faux. Il n’a jamais été question de l’empêcher de participer à la cérémonie d’ouverture parce que dans sa vie de tous les jours elle porte un foulard sur la tête, il lui a seulement été imposé d’enlever ce foulard le temps de la cérémonie d’ouverture.
Le Comité International Olympique interdit toute « propagande politique, religieuse ou raciale », mais considère le voile islamique comme culturel et non cultuel. Hypocrisie absurde, tant les défenseurs du voile eux-mêmes revendiquent sa dimension religieuse – le simple fait de traiter « d’islamophobes » ceux qui rejettent le voile étant, de facto, une affirmation de la dimension islamique de ce symbole.
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Amnesty International qualifie sur ce point la politique française de « deux poids, deux mesures discriminatoire. » Là encore, c’est un non-sens : la règle est identique pour tous et pour toutes les religions, mais il se trouve que seuls certains athlètes musulmans (de loin pas tous) ont autant de mal à accepter de ne pas pouvoir afficher ostensiblement leur adhésion à un culte.
Au demeurant, si la France pratique un « deux poids, deux mesures discriminatoire » c’est plutôt en faveur de l’islam. Et là, ce sont les arguments des défenseurs de la laïcité qui ont soudain des pudeurs de gazelle.
En effet, la grande qualité de la laïcité est de soumettre les religions à la loi commune, du moins en théorie. J’aurai beau expliquer que je vénère Bacchus et qu’à ce titre la dégustation de bons vins est pour moi un acte religieux et une action de grâces, cela ne me donnera pas le droit de conduire avec plus d’alcool que de sang dans les veines ! Irais-je prétendre qu’on m’interdit de conduire à cause de ma foi, on saurait (je l’espère) me rétorquer que non, la loi ne me discrimine pas, elle refuse au contraire que ma religion me serve de passe-droit, ce qui constituerait une discrimination au détriment de tous les autres citoyens. Autrement dit, ce qui est interdit à tous (par exemple conduire en état d’ivresse) n’est pas non plus permis aux adeptes d’une religion qui le prescrit.
Accommodements déraisonnables
Or, la République tolère aujourd’hui bien des choses, lorsqu’elles sont faites au nom de l’islam, qui seraient unanimement condamnées si elles étaient faites au nom de n’importe quelle autre idéologie : sexisme, homophobie, refus de la liberté de conscience, et j’en passe. Voilà un véritable « deux poids, deux mesures discriminatoire », d’ailleurs contraire tant à l’esprit de la laïcité qu’à la loi, en particulier à la loi de 1905 et à son titre V relatif à la police des cultes.
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Ce que l’on ose rarement dire, c’est que le problème du voile islamique, et plus largement du hijab, du burqini, etc, n’est pas leur dimension religieuse mais le projet de société dont ces oripeaux sont les étendards. Il ne s’agit évidemment pas de présumer des convictions intimes et des motivations personnelles de telle ou telle femme portant le voile (bien que lorsque celle-ci insiste sur son voile mais ne voit aucun problème à se montrer bras nus et jambes largement visibles, on s’interroge nécessairement) mais simplement de constater l’évidence : la signification d’un symbole arboré dans l’espace public n’est pas déterminée par le for intérieur de la personne qui arbore ce symbole, mais par le sens de celui-ci dans la vie collective. Le salut nazi est interdit (fort heureusement) et affirmer que « oui mais pour moi ce n’est pas un salut nazi mais un salut romain » ne permet pas de contourner cette interdiction. Le voile est le seul « bout de tissu » au monde au nom duquel des États (et non des moindres) persécutent, harcèlent, emprisonnent, torturent et tuent des femmes, tout comme l’islam est la seule religion au monde au nom de laquelle des États (et non des moindres) punissent de mort le blasphème (donc la liberté d’expression), l’apostasie (donc la liberté de conscience), l’homosexualité. La promotion du voile emporte avec elle un dédain non dissimulé pour celles qui ne le portent pas – le terme même de « mode pudique » très utilisé dans le monde anglo-saxon (« modest fashion ») sous-entend que les femmes non-voilées seraient impudiques – et simultanément une vision méprisante des hommes réputés incapables de freiner les pulsions que leur inspirerait la vue de la moindre mèche de cheveux.
La France passe son temps à expliquer au monde la laïcité
La laïcité permet simplement, ou devrait permettre, de dire que le projet de société que véhicule cette vision du monde et des rapports humains est incompatible avec la décence commune de la France et avec les fondements mêmes de ses mœurs et de ses lois, et ce peu importe que l’idéologie qui porte ce projet de société soit religieuse ou non.
Faut-il, dans le cadre des Jeux Olympiques comme dans d’autres (milieu scolaire notamment), n’interdire que les symboles manifestant une adhésion ostentatoire à une idéologie contraire aux règles élémentaires de la société, ou exiger une neutralité plus large ?
Officiellement, le choix qui est fait, et qui est généralement celui des défenseurs autoproclamés de la « laïcité républicaine », est celui de la neutralité. Je dis bien « officiellement » : la promotion insistante de ce que l’on regroupe sous le terme de wokisme lors de la cérémonie d’ouverture n’avait rien de neutre, politiquement parlant. Et même ceux qui ont apprécié cette cérémonie le reconnaissent, comme Sandrine Rousseau tweetant : « Meilleure réponse à la montée du fascisme et de l’extrême-droite cette cérémonie ». Notons que l’inverse est vrai aussi : une cérémonie d’ouverture évoquant la cinéscénie du Puy du Fou aurait évidemment eu ma préférence, mais aurait également été l’expression d’une certaine idée de la France, donc d’une vision politique (pas forcément politicienne, mais assurément politique).
Pour en revenir au voile, fut-il à visière, le choix de la neutralité est en apparence le plus facile voire le plus sage dans une situation comme la nôtre, où coexistent sur un même territoire des idéologies aussi incompatibles qu’irréconciliables. Mais c’est un choix de court terme, qui ne fait que remettre à plus tard l’inévitable confrontation politique avec des projets de société inacceptables.
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