Le 27 octobre, 750 manifestants anti-corrida se sont retrouvés à Rodilhan dans le Gard pour bloquer l’accès aux arènes. En pointe dans cette lutte, des membres du Comité Radicalement Anti-corrida avaient été évacués manu militari lors d’une précédente action pendant laquelle ils s’étaient enchaînés entre eux. Dans le Sud de la France, les corridas et les écoles de tauromachie ne désemplissent pas, ce qui inquiète les associations. Aussi mènent-elles des actions coup de poing. Des défenseurs de la cause animale venant du monde entier y participent. Ils tentent de mettre fin à ce spectacle cruel qui fait de la résistance au nom de l’exception culturelle et du régionalisme. Pourtant, en Catalogne, le sujet n’a pas suscité tant d’atermoiements de la part des pouvoirs publics lorsqu’on y a interdit la corrida.
Importée d’Espagne, la tauromachie s’implante dans le Midi au milieu du XIXe siècle. Ses défenseurs arguent de sa dimension « patrimoniale » pour que les corridas n’entrent pas sous le coup de la loi sanctionnant les « actes de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ». À l’heure où une quinzaine d’intellectuels ont signé un manifeste pour le bien-être animal et que la Commission Européenne s’attaque au problème, on s’étonne que la souffrance flagrante de bêtes à qui on coupe oreilles et queue, puis que l’on met à mort, soit encore tolérée. De fait, il semble qu’en la matière le lobby de la tauromachie soit plus puissant que celui des agriculteurs et des chasseurs. En effet, pour ces derniers, leurs activités sont strictement encadrées.
Les militants anti-corrida sont confrontés à l’immobilisme des pouvoirs publics qui considèrent qu’une interdiction entraînerait une perte notable de voix aux prochaines élections. Pour occulter le clientélisme local, la corrida devient une manifestation populaire que l’on pare d’une ancestralité fallacieuse. Or, force est de constater que les notables ne sont pas en reste pour assister à l’agonie programmée d’une bête qui n’a aucune chance de survie dès qu’elle fait son entrée dans l’arène. Ce spectacle sanglant est un retour des combats du cirque. En l’occurrence, la vaillance du taureau prime peu car une corrida serait dénaturée sans mise à mort. Les taureaux graciés sont suffisamment rares pour faire la Une des journaux régionaux. L’un des cas les plus éclatants est survenu en 2008, dans les arènes de Dax. Agitant des mouchoirs blancs, les spectateurs ont trouvé suffisamment de qualités à Desgarbado pour solliciter sa « grâce ». Mais cela n’est pas vraiment du goût des responsables qui estiment que cela doit rester exceptionnel. Le fond de commerce reste le sang. Un taureau qui ressort vivant de l’arène pour devenir un reproducteur n’est apparemment pas bon pour les affaires.
Les professionnels du secteur soulignent les pertes économiques qui découleraient de la fin des mises à mort ou d’une éventuelle interdiction de la corrida. Ainsi, ils avancent que le pays d’Arles, notamment, y perdrait son âme. Au nom de l’exception régionale et culturelle, on maintient donc un spectacle où le taureau effrayé ou enragé, à force de sévices, agonise lentement sous les « vivas ». Pour justifier la tauromachie, certains en seraient presque à dire que les banderilles ne font pas souffrir le taureau. Le lobby économique et politique a réussi à annihiler tout débat sur la question. Face à cela, les défenseurs de la cause animale se trouvent étrangement démunis alors que la souffrance est au cœur du spectacle taurin. Pendant de longues heures, la résistance de l’animal est vaincue par les assauts du torero. De longues trainées de sang s’étalent le long de ses flancs. Parfois même la fin du « combat » intervient plus tôt car, affaibli, le taureau ne peut même plus tenir debout. Cela ne suscitera que rarement l’empathie d’un public transporté par la performance du matador.
Pour lui, c’est un exploit sportif et artistique. La portée esthétique transparaît dans la chorégraphie de l’homme face à la bête. En habit de lumière, il virevolte et met en échec les cornes de l’animal à chacune de ses approches. C’est un entraînement de nombreuses années et les toreros sont idolâtrés dans certaines régions. Pourtant, quelle perspective esthétique peut-on bien trouver à un spectacle qui se clôture immuablement par la mise à mort du taureau ? Si l’on ne peut interdire la corrida pour cause de régionalisme, au moins pourrait-on voir quelques concessions de la part des aficionados pour épargner les taureaux à la fin du « show » ? Il y a sans doute là quelque chose de la barrière d’incompréhension et de l’absence de dialogue entre les deux partis.
Les nombreuses propositions de lois en faveur d’une interdiction de la corrida ont été invariablement rejetées par le Conseil Constitutionnel qui la juge « conforme » à la loi. Pour supprimer cette dérogation du code pénal, les députés Verts, Barbara Pompili et François de Rugy, ont déposé un nouveau texte le 19 septembre dernier. Celui-ci préserve les courses camarguaises et landaises.
Déjà au XVIIe siècle, La Fontaine dans son fameux Discours à Madame de La Sablière critiquait les « animaux-machines » de Descartes, qui les réduisait à l’instinct. La Fontaine résume ainsi cette manière de considérer une bête : « Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps ». Le fabuliste rétorque par l’habileté du cerf échappant aux chasseurs ou encore par le soin des alouettes envers leurs petits. La Fontaine leur accordait une petite âme qui raisonne et qui souffre à son échelle.
Aujourd’hui, il est frappant de constater qu’au nom de considérations politiciennes, les élus locaux participent massivement à la défense de la corrida. Ils sont humanistes quand cela les arrange. Ils trouvent ce spectacle « magnifique » pour « faire populaire ». En réalité, c’est surtout pour complaire à une notabilité locale férue de ce genre de manifestations. Apparemment, les prochaines élections municipales exigent de la part des élus qu’ils mettent leur énergie à la défense de ce « patrimoine » plutôt qu’au redressement de leurs communes surendettées et de l’emploi de leurs concitoyens. Tout cela n’est aucunement urgent. Il n’y a qu’à voir la récente enquête de l’OCDE. Même si les Français sont ronchons, ils sont champions du « bien-être » en Europe malgré la crise. On est rassuré, les élus ont tout compris, tant qu’il restera du pain et du jeu, tout ira bien !
*Photo : Daniel Ochoa de Olza/AP/SIPA. AP21447050_000009.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !