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«Soudain, l’été dernier», film de la dévoration

Le classique de Mankiewicz ressort en DVD


«Soudain, l’été dernier», film de la dévoration
"Soudain, l'été dernier".

Judicieuse idée qu’ont eu les éditions Carlotta de sortir simultanément le Picnic de Joshua Logan et ce film plutôt mal-aimé de Mankiewicz. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que les deux films sont similaires ou du même niveau (Soudain l’été dernier est très supérieur) mais ils possèdent suffisamment de points communs pour justifier cette parution couplée. La plus évidente concerne l’origine théâtrale des deux films. Mankiewicz adapte ici Tennessee Williams et à l’instar de Kazan, l’univers du dramaturge lui permet de rompre avec un certain classicisme hollywoodien en se concentrant essentiellement sur la psychologie et les névroses des personnages ainsi que sur le jeu des comédiens.

Un flash-back avec effets

En Louisiane, le docteur Cukrowicz (M. Clift) travaille dans des conditions déplorables en raison d’un manque considérable de moyens attribués à l’hôpital public. Une étrange proposition venue de la richissime Violet Venable (Katharine Hepburn) pourrait représenter une manne financière. Celle-ci se montre prête à offrir un million de dollars à l’établissement si le docteur consent à pratiquer une lobotomie sur sa nièce Catherine (Elizabeth Taylor) atteinte de démence depuis le mort de son cousin Sebastian, le fils de Violet.

Le film est construit sous la forme de flash-back mais Mankiewicz ménage avec beaucoup d’habileté ses effets. Dans un premier temps, le passé ne surgit que sous la forme des récits qu’en font les personnages. A ce titre, la première demi-heure pourrait donner raison aux détracteurs du cinéaste qui lui reprochent l’aspect théâtral de ses films. La première rencontre entre Cukrowicz et Violet Venable est, en effet, extrêmement longue et repose essentiellement sur un extraordinaire monologue (ou presque) de la grande Katharine Hepburn.

La plante carnivore gobe une mouche

Pourtant, on aurait tort de n’y voir que du « théâtre filmé ». Mankiewicz joue déjà avec une grande finesse sur le fabuleux décor du jardin tropical de Violet, sorte de métaphore d’un inconscient troublé et des désirs désordonnés du défunt poète Sebastian. De la même façon, dans une scène mémorable, Violet donne une mouche à une plante carnivore, métaphore limpide de ce que sera ensuite tout le film : une histoire de dévoration et de cannibalisme.

L’intervention de Michel Ciment, en supplément du DVD nous a paru tout simplement parfaite : claire, érudite, regorgeant d’informations et d’anecdotes et judicieuse quant à l’interprétation. C’est un régal. Et comme il le souligne très justement, Soudain l’été dernier est, comme beaucoup de films de Mankiewicz, une œuvre sur le pouvoir. Si Le Limier mettra en scène l’affrontement psychologique de deux hommes, celui-ci est le récit d’un affrontement à distance entre une tante jamais remise de la mort de son fils et une nièce qu’elle voudrait « dévorer » métaphoriquement (la faire taire à tout jamais).

L’insoutenable poids du passé

Mais peu à peu, le passé trouble de Sebastian va ressurgir et contaminer le présent. Là encore, le cinéaste ne succombe pas immédiatement au procédé classique du « flash-back » mais joue sur des réminiscences qu’on devine grâce à l’expressivité incroyable de la mise en scène. Je pense en particulier à ces deux scènes où Catherine se retrouve, à l’hôpital, au milieu des fous. Par les jeux de cadres, le travail sur la bande-son, Mankiewicz parvient à traduire parfaitement les névroses de la jeune femme et à donner au passé un poids insoutenable. Il y a dans ces moments précis une intensité qui n’est pas s’en rappeler celle des plus beaux Bergman.

Les dialogues sont constamment transcendés par de subtils décadrages, par des champs-contrechamps légèrement pervertis par l’angle d’attaque ou par une contreplongée traduisant parfaitement les rapports de domination.

Homosexualité, cannibalisme, inceste

Tandis que les tensions s’exacerbent au fur et à mesure de l’avancée du métrage, Mankiewicz opte enfin, lors de la mythique (le maillot de bain une pièce de Liz Taylor !) séquence finale, pour un flash-back qui arrive comme le point d’orgue d’un récit qui peut être vu comme la traduction d’une longue analyse psychanalytique. Le cinéaste reconstitue la « scène primitive » à l’origine du psychodrame. Là encore, il s’agit d’une histoire de dévoration et d’un corps sacrifié lors d’une inversion des rapports de pouvoir.

Sans en révéler trop pour ceux qui n’auraient jamais vu le film, Mankiewicz va très loin dans l’évocation des tabous les plus sensibles de l’époque à Hollywood : l’homosexualité (Sebastian est une figure de martyr biblique et l’on pense évidemment à la réappropriation de Saint Sébastien comme icône gay), le cannibalisme, l’inceste, etc.

Quinze ans avant l’assassinat de Pasolini

Michel Ciment  souligne dans son bonus que le parcours du poète défunt est étonnamment annonciateur de la tragédie qui frappera quinze ans plus tard Pasolini… Tragédie annoncée dans le film par de nombreuses images de la mort que le cinéaste dissimule dans ses plans.

En s’intéressant de manière aussi clinique à une névrose féminine, Mankiewicz met à mal l’idée classique d’un monde harmonieux et cohérent. Il l’ouvre au « négatif », aux pulsions et désirs les plus refoulés pour nous offrir une vision particulièrement pénétrante d’une nature humaine violente et insondable…

Soudain l’été dernier (1960) de Joseph L. Mankiewicz avec Elizabeth Taylor, Katharine Hepburn, Montgomery Clift. (Carlotta Films)

Soudain l'été dernier

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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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