Il est des avancées majeures de la civilisation qui passent scandaleusement inaperçues. Le Los Angeles Times du 26 novembre nous apprend ainsi qu’une vénérable institution américaine, la Air Force Academy, formant les officiers de l’armée de l’air de la première puissance militaire du monde, a inauguré un temple païen à ciel ouvert.
Ce temple, d’une valeur somme toute modeste de 80 000 dollars, est dédié à tous les cultes, et Dieu sait s’ils sont nombreux, recensés sous l’appellation « earth-based », dont l’Administration américaine estime, en vertu de l’Article 1 de la Constitution, qu’ils méritent respect et deniers publics. « Earth-based », voici une expression qui sonne étrangement à mes oreilles francophones et chrétiennes. Je propose prudemment une traduction de cette catégorie qui me paraît un peu fourre-tout : « terre-à-terre », plutôt que « géocentrique », qui pourrait impliquer une forme de mépris intolérable à l’égard de nos amis extraterrestres. Car il n’est jamais trop tôt pour bien faire lorsqu’on pratique l’ouverture aux autres, fussent-ils inconnus d’Eve ou d’Adam.
Le LA Times nous apprend en outre que le temple en question est composé, un peu dans le genre de Stonehenge, de gros blocs de pierres disposés en cercle autour d’un foyer tutélaire, et néanmoins alimenté au propane. Il servira notamment, dans un œcuménisme admirable, dont nous autres chrétiens, toujours à l’étroit dans notre ancestrale intolérance monothéiste, ferions bien de nous inspirer, aux « païens, sorciers, druides, wiccans et autres adeptes des religions des Américains natifs » à fêter enfin dignement les solstices d’hiver à chaque fois que l’occasion se présentera. Il était temps que soient réparés des millénaires de discriminations paganophobes. Et ce ne sont pas les quelques aviateurs américains évangéliques stigmatisant la poudlarisation des esprits qui y changeront quelque chose. Peut-être auraient-ils plus de chance de faire avancer leur cause en dénonçant l’avantage indu et discriminatoire dont disposent les sorciers dans une académie où il s’agit d’apprendre à voler.
Remarquons encore que dans ce pays modèle en matière de respect des croyances religieuses que sont les Etats-Unis, personne ne songe à s’offusquer de ce que les sorciers pratiquent leur religion au su et au vu de tous, et de ce que les jeteurs de sort puissent opérer à ciel ouvert. Mais au-delà des soucis d’économie que révèle la construction d’un dispositif aussi sommaire[1. Qui paraît tenir autant du parc d’attraction que du lieu de culte]dans un pays criblé de dettes, on pourrait s’interroger sur la nature du « respect » que porte l’armée américaine à ses militaires adeptes de la sorcellerie. Que les sorciers de l’US Air force puissent jeter des sorts à tout va dans un site militaire, c’est un poil insultant pour nos religieux « earth-based », si l’on admet que cela révèle le peu de foi de leur hiérarchie quant à l’efficacité des dits sorts.
A moins qu’il ne faille prendre tout cela au sérieux et que l’Oncle Sam, en enfourchant son balai magique, espère améliorer l’efficacité des « frappes chirurgicales » qui tuent aujourd’hui au Pakistan de façon totalement indiscriminée populations civiles, militaires et terroristes. Et on ose malgré tout espérer qu’au moins dans ce domaine, la discrimination a encore sa raison d’être…
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