Et si demain tout s’inversait, demande Sonia Mabrouk. Et si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ?
De nos jours, les plus vives manifestations de patriotisme se trouvent chez certains Français de fraîche date : nés à l’étranger puis naturalisés ou nés en France dans des familles issues de l’immigration. Ils n’ont pas le monopole du cœur, mais peut-être celui du courage de dire des évidences que les Français de souche balaient d’un revers de main ou dissimulent par peur des conséquences.
Ces Français de fraîche date connaissent les réalités du monde, à commencer par sa laideur et son intolérance systémique. Ils savent ce qu’est un Arabe, un Pakistanais ou un Peul. Ils sont ouverts sur le monde tandis que le bobo l’imagine au lieu de le connaître, il projette sur lui sa conception rousseauiste de la nature humaine où la gentillesse et la fragilité forment l’horizon définitif de l’histoire. Or, il est sorti de l’histoire et l’ignore.
Il y a longtemps, il y eut Romain Gary. Aujourd’hui, il y a Éric Zemmour (son origine étrangère est décisive dans son engagement et sa radicalité). Il y a bien sûr Boualem Sansal, Claire Koç, Sabrina Medjebeur, Naïma M’Faddel… Et sans aucun doute Sonia Mabrouk.
Boat people improbables
Au lieu d’écrire un essai pour formuler crûment son message d’alerte (Réveillez-vous bon sang !), elle a choisi la forme romanesque.
Et si demain tout s’inversait relate le périple de Louise et d’Aurélien, un couple aisé qui décide de s’exiler en Afrique du Nord. La vie en France est devenue impossible à cause de la guerre civile interethnique et des incessants bombardements russes. La femme représente tout ce qu’il reste de bon dans l’Hexagone (bon sens, sensibilité, amour des belles lettres et des belles choses, fidélité à la tradition judéo-chrétienne) ; l’homme, tout ce qu’il y a de méprisable (déni, arrogance, opportunisme, absence de convictions). On a envie de lui donner des baffes et de demander à Louise : qu’est-ce que tu lui trouves, jusqu’à te marier et lui faire un gosse ?
Aurélien incarne l’archétype du winner, le gagnant de la mondialisation. Médecin, il a prospéré en réalisant des chirurgies de transition de genre sur des enfants et des adolescents. Quand sa femme l’interroge sur l’éthique de sa démarche, il répond qu’il s’agit du progrès et que l’on ne peut rien contre le progrès car « il nous dépasse ». Il nous dépasse et remplit son compte en banque.
Aurélien se croit extraordinaire. Il symbolise une époque où l’ultra-spécialisation technique détermine l’ascension sociale alors que la culture générale a perdu ses lettres de noblesse. Aurélien n’a tout simplement pas les moyens de comprendre qu’il risque de disparaître, et son pays avec lui, s’il ne se comporte pas comme un homme !
Chemin à double sain
Sonia Mabrouk s’adresse à tous les Aurélien de France avec la subtilité et la finesse qui font sa signature. Elle place le lecteur dans un scénario hypothétique, tellement invraisemblable qu’il désarme les résistances de ceux qui prennent toute référence à la réalité comme une micro-agression.
Qui pourrait imaginer que les Français, et les Européens en général, prennent le chemin de l’exil ? Qu’ils soient réduits au rang de boat people rançonnés par des passeurs et malmenés par les garde-côtes des pays arabes ? Qui pourrait croire que les populations arabes leur imposent la conversion à l’islam sans « droit à la différence » ni « touche pas à mon pote » ?
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Ce scénario n’est pas inédit. La Méditerranée est une voie à double sain depuis toujours. Il n’y a pas si longtemps, des républicains espagnols ont fui Franco au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Avant eux, d’autres Espagnols ont repeuplé l’Oranie au xixe siècle, espérant y trouver un refuge contre la misère et la disette. À la marge, des Allemands entachés par le nazisme se sont installés en Égypte après 1945. Si on ouvre davantage la focale, on voit des similitudes entre le scénario de Sonia Mabrouk et la grande migration des juifs expulsés par Isabelle la Catholique en 1492, éclatés en plusieurs diasporas du Maghreb au Levant.
Sonia Mabrouk a-t-elle lu Jean Raspail ?
Et si demain tout s’inversait pose plusieurs questions essentielles, la première étant celle du courage. Le courage de voir le défi identitaire qui s’impose à la France. Le courage d’admettre qu’une société n’a aucune chance de perdurer si elle n’arrive pas à se faire respecter chez elle. Le courage de reconnaître qu’un pays sans âme, avec des hommes sans contenu, est voué à la disparition.
On ne peut manquer de tracer un parallèle entre la démarche de Sonia Mabrouk et Le Camp des saints de Jean Raspail, paru il y a cinquante ans. Les deux partent du principe que l’islam est capable de dire non, de refuser la différence. Dans le livre de Raspail, les hordes misérables venues d’Inde reçoivent une fin de non-recevoir dans les pays musulmans qui les déroutent vers la France. Dans le roman de Sonia Mabrouk, les pays du Maghreb conditionnent leur accueil à l’abandon de l’identité européenne. Les deux pensent que l’Europe est malade et que son mal est moral, seulement moral.
Les similitudes s’arrêtent là, car Jean Raspail ne croit plus dans la morale chrétienne. Il pense qu’elle fait crever l’Europe qui aime plus l’étranger qu’elle-même. Sonia Mabrouk semble appeler de ses vœux à un retour à l’identité judéo-chrétienne, non comme un réveil spirituel stricto sensu, mais une sorte de vaccin contre le suicide culturel en cours.
Enfin, votre humble serviteur, citoyen d’un pays du Sud, ne peut s’empêcher de pousser plus loin l’exercice engagé par Sonia Mabrouk. Et si ces centaines de milliers d’Européens obligés de se convertir à l’islam en contrepartie du droit d’asile étaient la salvation des pays d’Afrique du Nord ? Ces nouveaux venus auraient le même impact bénéfique que les pieds noirs d’Algérie avaient dans les années 1950, lorsque le pays a eu une réelle chance de décoller. Des pieds noirs inexpugnables, car musulmans et assimilés… Et si le renouveau de la terre d’islam dépendait de l’arrivée en masse d’Occidentaux convertis y apportant l’éthique du travail, la confiance dans le progrès et l’amour de l’innovation ?
De quoi écrire une autre fiction. Son titre serait Le Printemps arabe.
Sonia Mabrouk, Et si demain tout s’inversait, Fayard, 2024.
L'identité d'abord: Lettre ouverte d'un immigré aux Français qui ne veulent pas disparaître
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