Avec l’enquête de l’IFOP pour Le Monde qui indique que pour 42% des Français (et 40% des Allemands) l’islam[1. L’islam est dans l’enquête de l’IFOP systématiquement orthographié Islam. A tort, puisqu’il s’agit ici de la religion, et non de la civilisation islamique qui elle prend une majuscule. Ces confusions sémantiques assez systématiques ne favorisent en rien la clarté du débat] est « plutôt une menace » pour l’identité de leur pays, l’affaire est pliée : c’est le grand retour de la bête immonde. La France cède une fois de plus à ses démons, à son « transcendantal pétainiste », bref à son besoin (constitutif, sans doute, de son identité nationale enfin retrouvée) de désigner des boucs émissaires.
Les ex-prophètes de la grande réconciliation multiculturelle s’indignent même (c’est à la mode) que l’on puisse effectuer de tels sondages. C’est le syndrome bien connu du thermomètre : s’il ne donne pas la bonne température, cassons-le. Mais ceux que l’on entend le plus, ce sont certains sociologues, parmi les plus en vue à gauche, qui nous prédisent depuis des décennies un déferlement de violence « islamophobe » avec force pogroms et autres ratonnades. Ils hésitent aujourd’hui entre la consternation effarée de voir le peuple leur échapper et la jubilation d’entrevoir enfin le moment où ils auront peut-être raison. Même si (fort heureusement) les lynchages de musulmans se font toujours un peu attendre. On se demande d’ailleurs pourquoi. Le diagnostic posé de l’islamophobie galopante de nos concitoyens, et de la constitution par un pouvoir politique aux abois d’un « ennemi intérieur » musulman, devrait s’appuyer sur des signes plus tangibles que de rares graffitis racistes ou insultants sur le mur des nombreuses mosquées en construction dans notre pays et de quelques débordements racistes sur internet. Malgré toute l’horreur du déchaînement islamophobe que l’on nous promet, on est encore quand même loin, admettons-le, des lynchages de noirs dans le sud de l’Amérique au XIXe siècle ou de la persécution des juifs en Allemagne puis en Europe dans les années 1930 et 1940. Ou de l’ampleur de la persécution des chrétiens dans les pays musulmans aujourd’hui.
La France sempiternellement moisie
Interrogeons-nous un instant sur ce drôle de phénomène. Nos sociologues, récemment convertis en masse aux théories de René Girard et de Carl Schmitt (deux des plus grands penseurs du XXe siècle, je le note en passant pour tous ceux qui s’inquiètent de la disparition de l’influence des intellectuels catholiques dans notre pays), ne considèrent plus la communauté politique française qu’à travers la théorie du bouc émissaire : en période de crise, la peur du déclassement et de la perte d’identité se faisant de plus en plus aigüe, la France, sous l’impulsion cynique de ses dirigeants, cherche un ennemi fédérateur : ce sont les musulmans. Nos sociologues sautent sur leurs chaises comme des cabris en hurlant « bouc émissaire ! bouc émissaire ! bouc émissaire ! » et ils ont l’impression de penser. Ce diagnostic qui se veut scientifique est bien sûr une condamnation sans appel de la France sempiternellement moisie qui leur paraît renaître sans cesse de ses cendres toujours chaudes. Leurs théories sont d’ailleurs largement reprises par une partie des musulmans français eux-mêmes qui ont l’impression d’être sur le point de remporter haut la main la compétition victimaire qui les oppose à d’autres « communautés ».
Seulement, nos sociologues, qui ont tout récemment jeté Bourdieu et autres Marx dans les poubelles de l’histoire intellectuelle (à tort sans doute, au moins pour ce dernier), n’ont pas eu le temps de lire Girard jusqu’au bout. Ils y auraient appris que selon René Girard, en Occident au moins, à force d’être dénoncé, le phénomène de bouc émissaire ne marche plus. C’est au contraire, à suivre René Girard toujours, à la condition de se désigner soi-même comme « bouc émissaire » que l’on sera en mesure d’exercer une domination sur le corps politique. C’est la tentation aujourd’hui de toutes les « communautés », y compris d’ailleurs d’une partie de certains représentants autoproclamés de la « communauté » « de souche » qui s’efforcent de décrire les Français comme les victimes d’une invasion musulmane aux relents antisémites, racistes et anti-blancs, orchestrée par des élites corrompues et vendues au mondialisme de l’hyper-capitalisme contemporain. Alors, tous boucs émissaires ? Et tous racistes ?
Le deuxième problème c’est que nos chers sociologues ne lisent pas les sondages qu’ils commentent jusqu’au bout. L’auraient-ils fait, qu’ils auraient bien du mal à assimiler le rejet de l’islam à une forme de racisme persécuteur. La dernière question du sondage de l’Ifop prouve le contraire. Alors que l’enquête indique sans ambigüité une montée du rejet des revendications politiques de l’islam et des doutes quant à la volonté de certains musulmans de s’intégrer, elle prouve aussi que l’acceptation de l’origine musulmane (c’est-à-dire étrangère) de nos concitoyens n’a jamais été aussi forte. Des sondages similaires de l’Ifop indiquent qu’en 1989 (avant le « déferlement islamophobe » que l’on nous décrit aujourd’hui), 63% des Français étaient hostiles à l’élection d’un maire d’origine musulmane dans leur commune, qu’ils étaient encore 55 % en 1994, 35% en 2001, et seulement 33% aujourd’hui. Les Français sont parait-il aujourd’hui plus que jamais hystériquement islamophobes, mais n’ont jamais été plus prêts qu’aujourd’hui à voter dans leur commune pour un candidat d’origine musulmane. Cherchez l’erreur.
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