Pour les Occidentaux, le 18e sommet du G20, qui s’est tenu à New Delhi du 9 au 10 septembre, s’est malheureusement terminé sans avancée sur la guerre en Ukraine ou le climat. Pour le reste du monde, la donne est différente. Encourager les envies de puissance de l’Inde semble être une bonne idée pour nous… Les analyses du think tank le Millénaire.
C’est tout comme si le dernier sommet du G20 avait démontré que l’avenir de l’Ukraine et la préservation du climat s’apparentaient à deux marottes occidentales, sans figurer dans les priorités des pays émergents ! Ceux-ci semblent davantage occupés à reconfigurer la marche du monde sans l’Occident, au point de démonétiser le G20, instance regroupant l’Occident et les pays émergents, au profit des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) où nous sommes absents et dont le sommet de Johannesburg d’août a été une réussite avec un agrandissement du groupe.
Une perte d’influence du G20 depuis de nombreuses années
Symbole d’un monde multipolaire né après l’effondrement soviétique, le G20 n’a pas atteint ses objectifs. Le groupe a été instauré après les crises économiques asiatiques de 1997-1998 et la difficulté de combattre leurs effets nocifs faute de coopération. En effet, avec l’interconnexion des marchés internationaux, chaque crise dans une zone géographique peut déstabiliser toutes les autres économies du reste du monde. Le G20 devait aider à la coopération internationale en rassemblant des pays qui représentent 85% du PIB mondial, 75% des échanges commerciaux et deux tiers de la population du globe.
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Mais le groupe n’a pas aidé à surmonter la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine qui ont bouleversé nos certitudes et fragilisé l’économie mondiale. Le déclin du G20 est illustré par la difficulté de mener à bien son rôle – celui de redynamiser la coopération économique mondiale. En plus de son manque d’efficacité, le groupe est vu comme illégitime et éloigné des réalités des pays émergents. Ainsi, les principaux leaders du monde, comme Xi Jinping ou Vladimir Poutine, boudent l’organisation et pensent qu’elle dessert leurs intérêts.
Montée en puissance des BRICS : vers une victoire totale ?
La guerre en Ukraine a rebattu les cartes entre les instances mondiales au profit des BRICS. Cela s’explique en partie par la ligne politique adoptée par le groupe, soit la défense d’un équilibre économique et politique mondial multipolaire, qui vient concurrencer celui du G7 et du G20. Ces deux dernières sont perçues par les BRICS comme le moteur de l’influence des États-Unis et de l’Union européenne et auraient pour ambition l’établissement d’une gouvernance unipolaire du monde. La volonté de sortir de l’influence occidentale et de celle du dollar par le biais de nouvelles institutions séduit le reste du monde. Une preuve de cette attractivité nouvelle est le nombre de candidatures important à l’entrée dans le groupe des BRICS : six nouveaux pays intégreront le groupe dès janvier prochain. Une ferveur qui rappelle celle qui a accompagné le lancement du Mouvement des Non Alignés dans les années 1950.
Pourtant, la victoire des BRICS n’est pas totale. Comme son prédécesseur, le groupe des BRICS manque de cohérence et il sera difficile de renverser l’ordre établi rapidement. Malgré les oppositions frontales entre les BRICS et les Occidentaux concernant le commerce, la gouvernance globale ou le changement climatique, les réalisations concrètes manquent alors que la Nouvelle Banque de Développement fondée en 2014 reste la seule réalisation des BRICS pour le moment…
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En effet, il ne suffit plus uniquement de s’opposer au modèle occidental, même si cela est bien accueilli dans les pays qui refusent le modèle que l’on cherche à leur imposer, mais il faut offrir des solutions concrètes. De plus, les oppositions internes sur la stratégie à l’égard de l’Occident, principalement entre la Chine et d’autres pays plus modérés, mettent à mal les ambitions du groupe. Les nouvelles adhésions pourraient accentuer tout cela avec des différences de régimes, de cultures ou d’affinités.
L’Occident battra-t-il longtemps en retraite?
Face à un basculement des rapports de force au profit des BRICS, l’Occident avance désuni. Sur l’Ukraine, si l’opposition à la Russie a suscité une réactivation de l’OTAN, cela s’est fait à la faveur de l’action de Joe Biden au service des intérêts américains. À titre d’exemple, les livraisons de F16 à l’Ukraine ont été rendues possibles par l’accord américain. Pourtant, les intérêts des États-Unis et de l’Europe s’éloignent progressivement, notamment quant à la défense du Vieux-continent ou encore concernant des dossiers économiques comme l’énergie ou la réindustrialisation – avec la menace sur l’industrie européenne que fait peser la loi américaine Inflation Reduction Act (IRA).
Concernant les relations avec les pays du Sud, les coups d’État au Niger et au Gabon ont placé l’Afrique sur le devant de la scène, comme en témoigne l’adhésion de l’Union africaine au G20. Seulement, la situation au Niger révèle une volonté de dégagisme des puissances occidentales, notamment la France, symbole d’un modèle qui ne suscite plus autant d’intérêt.
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Toutefois, les Occidentaux ont encore des cartes en mains. Ils espèrent en effet jouer sur les dissensions au sein des BRICS, entre la Chine et l’Inde, pour arriver à leurs fins et exister dans l’Indopacifique. À ce titre, encourager les envies de puissance de l’Inde semble être une bonne idée – c’est ce qu’ont pu faire Joe Biden, Emmanuel Macron ou même Ursula Von der Leyen. La rivalité entre l’Inde et son voisin chinois est la clé pour empêcher la prise d’influence globale des BRICS et de Xi Jinping sur la zone, dont les vues hégémoniques ne plaisent pas en Inde. En effet, on observe un regain des tensions diplomatiques entre les deux pays, alors que la Chine a publié il y a quelques semaines une carte dans laquelle elle annexe des régions indiennes. De plus, sur le plan économique, la Chine traverse une crise structurelle, lorsque l’Inde se porte à merveille avec une population jeune et une économie qui croît (7% de croissance sont attendus cette année) ce qui en fait un allié de choix. La mort de l’Occident n’est pas pour aujourd’hui, mais de profonds décalages existent entre ses attentes et celles du reste du monde. Faute de remise en cause et d’action de sa part, l’avenir du monde pourrait bien s’écrire sans lui.
Pierre Clairé* et Sean Scull**
*Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.
**Analyste au Millénaire.