42 années ont passé depuis le discours d’Harvard du grand penseur russe Alexandre Soljenitsyne sur le « déclin du courage » en Occident. Son pessimisme d’alors est devenu la lumière sombre de la France de notre temps.
Dans son discours de Harvard en 1978, Alexandre Soljenitsyne avait énoncé cette pensée forte : « Le déclin du courage est peut-être ce qui frappe le plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui ».
Qu’aurait-il dit alors de la France de 2020 ?
On me pardonnera de me glisser tout petit dans l’ombre de ce géant mais cela fait des années que dans toutes mes interventions, spontanément ou en réponse, je souligne que le manque de courage, singulier et/ou collectif, est la plaie fondamentale de notre pays, de ses pouvoirs et de sa démocratie.
Je laisse évidemment de côté l’admirable courage de nos militaires qui risquent leur vie sur des terrains d’opérations où leur présence est nécessaire et, par décence républicaine, indiscutée.
Même avec cette exclusion, il reste tant d’exemples de ce déclin pressenti par Alexandre Soljenitsyne que je vais me livrer à un inventaire disparate mais qui peu ou prou sera à chaque fois caractéristique d’une faillite de cette vertu capitale.
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Un mot sur les mille épisodes de la vie sociale, de la sphère privée où l’invocation de la politesse, de la considération d’autrui et de la tolérance n’est que le masque qui sert à déguiser la faiblesse de la personnalité, son inaptitude à user d’une forme courtoise pour exprimer un fond vigoureux. Il y a une manière, dans nos existences, de dénaturer la courtoisie en la prenant comme prétexte à l’insignifiance.
L’authentique courage est de ne pas hurler avec les loups
Mais le vrai, l’authentique courage est de ne pas hurler avec les loups après ou, avant, quand on est assuré d’un soutien majoritaire.
Il est de ne pas systématiquement rétracter son opinion, sa conviction de la veille parce que la polémique, aussi injuste qu’elle soit, vous donne mauvaise conscience et qu’on préfère avoir tort avec beaucoup que raison tout seul.
Il n’est pas d’avoir une liberté à géométrie variable et de l’adapter à la qualité et à l’importance des contradicteurs, à l’intensité médiatique, à l’emprise de la bienséance, au souci moins de la vérité que de la décence imposée par d’autres.
Il n’est pas de se sentir tenu par l’obligation impérieuse et lâche, pour justifier l’absence de crachat sur le RN, de révéler qu’on ne votera jamais pour lui ou, pour avoir le droit de parler librement de Vichy, de Pétain et de l’Histoire de cette période – comme Eric Zemmour récemment – de montrer patte blanche en précisant, ce qui va de soi pour lui, qu’on n’est ni négationniste ni révisionniste. Le courage est d’oser exister sans filet de sécurité.
Le courage n’est pas de flatter la Justice en la persuadant qu’elle a la moindre légitimité pour trancher les controverses historiques en apposant sur elles les gros sabots d’une législation ayant sacrifié les nuances et la complexité.
Le courage n’est pas de dévoyer le « en même temps »
Il n’est pas non plus de haïr la personne au lieu de combattre ses idées et de se vautrer dans le sommaire d’un langage appauvri pour massacrer une civilisation du dialogue, de ressasser l’humanisme pour faire l’impasse sur ses exigences concrètes.
Le courage n’est pas de dévoyer le « en même temps », de le faire passer d’un moyen de plénitude intellectuelle à la déplorable rançon d’un esprit qui ne sait pas assumer ses choix et leurs conséquences.
Quand le président de la République, effrayé par ce qu’il a pourtant initié ou déclaré – par exemple pour l’écologie avec la convention citoyenne, contre la police lors de l’entretien sur Brut – dès le lendemain cherche à se sauver la mise, il est aux antipodes du courage. Le Beauvau de la sécurité, qui pourtant en soi n’est pas une mauvaise idée, est gâché parce qu’il est gangrené par la repentance.
Par le désir pusillanime de se renier ou de proposer un événement seulement pour atténuer le choc de la démagogie antérieure.
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Le courage n’est pas non plus de prendre, par démagogie, les communautés les unes après les autres – « les jeunes puis le troisième âge… » – et de remplacer l’adresse à la France unie, aussi difficile que soit un verbe rassembleur, par une exploitation de ses « segments » (selon Arnaud Benedetti).
Le courage n’attend pas forcément l’estime
L’autorité de l’État, impartiale et digne de ce nom est aujourd’hui une immense béance parce que les coups de menton sans effet servent une frilosité politique qui n’a pas à s’accommoder du réel, encore moins à combattre ce qu’il a de pire. Le courage a ceci de douloureusement honorable qu’il discrimine, stigmatise, sanctionne et n’attend pas forcément l’estime. Il est le contraire de ce dans quoi notre France, notre monde aiment se lover : l’éthique verbeuse, l’illusion de l’action.
Je pourrais continuer à égrener dans tous ces secteurs, social, politique, médiatique, culturel et judiciaire, les signes d’une démocratie qui non seulement n’essaie même pas, dans une tension éprouvante, de se mettre à la hauteur de cette splendide vertu, mais la fuit parce qu’elle exige trop de soi, de nous, de ceux qu’on a élus, de ceux qui nous gouvernent, de celui qui préside.
Soljenitsyne avait tout prévu et je n’ose imaginer la stupéfaction indignée de ce héros du XXe siècle face à l’état de l’Occident, au délitement de la France. 42 années ont passé depuis son discours de Harvard et son pessimisme d’alors est devenu la lumière sombre de notre temps.
Faut-il, pour toujours, faire son deuil du courage ?
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