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Soljenitsyne et nous

L'actualité brûlante du discours d'Harvard


Soljenitsyne et nous
Alexandre Soljenitsyne en 1994 © LASKI/SIPA Numéro de reportage : 00679505_000025

En 1978, Soljenitsyne, dans son célèbre discours d’Harvard diagnostique les causes de la décadence de l’Occident : l’absence de spiritualité et le déclin du courage. Il dénonce les trahisons des élites. Pour lui, le communisme, comme le monde occidental, conspirent contre la vie intérieure. Quarante ans après, son discours reste d’une brûlante actualité et jamais l’Occident n’a semblé autant manquer de courage.


En juin 1978, Alexandre Soljenitsyne, qui réside depuis deux ans aux États-Unis, est invité par l’université de Harvard à prononcer un discours (Le déclin du courage, éditions Les Belles Lettres). Alors que professeurs et étudiants attendent un éloge de l’Occident, le dissident va dire ses quatre vérités au “monde libre” : « Non, je ne peux pas recommander votre société comme idéal de transformation de la nôtre. » Pour Soljenitsyne, si le communisme a ôté toute “vie intérieure” à l’homme, l’Occident, d’une autre manière, ne fait pas autre chose. Cinquante ans plus tard, ce discours peut être lu comme un texte prophétique.

Le déclin du courage est peut-être ce qui frappe le plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui

Mobilisés entièrement à vivre dans le confort de « la foire du commerce », préoccupés par cette seule recherche d’un bonheur factice « bien loin de favoriser [leur] libre développement spirituel », les Occidentaux sont devenus faibles. En même temps que s’effondrent la spiritualité, l’art, la recherche de la vérité et l’envie d’une vie commune héritière des siècles chrétiens, la “vie juridique” prend le pas sur tout et « crée une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie les meilleurs élans de l’homme. » Soljenitsyne voit s’élever les réclamations de groupes pour lesquels le bien commun est sans intérêt et seul compte le droit absolu de “moi” : « La défense des droits de l’individu est poussée jusqu’à un tel excès que la société elle-même se trouve désarmée devant certains de ses membres. » Les actuelles revendications diversitaires aboutissent à la prise de pouvoir par des minorités vindicatives. Le désir de chaque “moi” se transforme en droit-créance : la société tout entière doit se plier à ces exigences individuelles au risque de passer pour rétrograde et arriérée. L’absence de courage et l’aveuglement des élites occidentales qui ont accepté et parfois devancé et légalisé les exigences des minorités s’accompagnent d’une effrayante duplicité quand il s’agit de faire passer en catimini les lois les plus destructrices pour notre civilisation, comme cela s’est passé tout dernièrement pour la loi dite bioéthique en France.

La perversion de la presse

Soljenitsyne critique la presse (et les mass médias en général) : propagandiste, elle pervertit, selon lui, l’opinion publique. Surtout, et c’est une surprise pour cet homme venu de l’Est totalitaire, « si on prend la presse occidentale dans son ensemble, on y observe des sympathies dirigées en gros du même côté (celui où souffle le vent du siècle) […] et tout cela a pour résultat non pas la concurrence, mais une certaine unification. » Cinquante ans plus tard, aux États-Unis, les journaux démocrates mènent la chasse jusque dans leurs colonnes et licencient les journalistes qui ont eu l’outrecuidance de réfléchir et de refuser de s’agenouiller devant les nouvelles lubies diversitaires ou progressistes. En France, nous voyons une vigilante presse de gauche distribuer les bons et les mauvais points et réclamer que soient censurées certaines chaînes d’info, certains éditorialistes ou magazines qui ont l’inconvénient de penser autrement qu’elle. 

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Au mitan de son discours, Soljenitsyne terrasse son auditoire : « Le système occidental, dans son état actuel d’épuisement spirituel, ne présente aucun attrait. La simple énumération des particularités de votre existence à laquelle je viens de me livrer plonge dans le plus extrême chagrin. »

L’homme occidental, abruti par la publicité et la télévision, ne peut en rien, selon lui, se croire supérieur à l’homme de l’Europe de l’Est, plus courageux, « plus profond et plus intéressant » que l’homme avachi de la masse occidentale. Constatant la gangrène des réseaux égoutiers dits sociaux, l’abaissement d’un enseignement qui ne se préoccupe plus que de faire des “citoyens du monde” écologistes et “dégenrés”, la judiciarisation et la politisation de tous les actes de la vie, l’autodestruction de l’Europe, qu’aurait pensé Soljenitsyne de notre monde actuel ? N’y aurait-il pas vu la concrétisation la plus funeste de son constat et de ses craintes ?

Trahison des élites et lâcheté collective

Si « l’ordre communiste a pu si bien tenir le coup et se renforcer à l’est », c’est d’abord parce qu’il a été soutenu par l’intelligentsia occidentale, rappelle fort justement Soljenitsyne. La France n’a pas manqué de ces adulateurs des régimes totalitaires communistes. Elle ne manque pas aujourd’hui de démagogues prêts à s’allier au pire pour, sous couvert d’une radicale transformation du monde préparant l’avènement d’un hypothétique paradis sur terre, s’accaparer opportunément quelques postes dans les sphères politiques, universitaires ou médiatiques. La cancel culture, les mouvements diversitaires, décolonialistes et “racialistes”, l’islamisation de territoires de plus en plus grands en Europe et les attentats qui se répètent sont les dangers qui nous menacent directement. « En face de ce danger, lorsqu’on a derrière soi l’acquis de tant de valeurs historiques, avec un tel niveau de liberté et de dévouement apparent à cette liberté, est-il possible de perdre à ce point la volonté de se défendre ? » Malheureusement, oui, c’est possible, pourrait-on répondre : « la couche dirigeante et la couche intellectuelle dominante » sont affalées, réjouies, dans le canapé des idéologies pseudo-humanistes de l’Open Society mondialiste ; tandis que le quidam occidental, distrait par Netflix, abruti par les émissions hanounesques et la publicité, materné par l’État, décérébré par les nouveaux dogmes progressistes, se pelotonne dans des “indignations” sans risque.

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Se souvient-on des réactions après les attentats qui ont ensanglanté la France en 2015 ? Les « Vous n’aurez pas ma haine » concurrençaient alors les appels à faire une chaîne humaine sous le slogan #maindanslamain ou à déposer des ours en peluche et des dessins devant les lieux meurtris. Après le Bataclan, Le Point titrait : « Tous en terrasse ! Les Français inventent “une nouvelle résistance”. » La Comédie française se lançait dans le combat avec une arme redoutable, le meurtrier slogan #theatrelovelife. Nos ennemis comprirent alors à qui ils avaient affaire. « Le déclin du courage est peut-être ce qui frappe le plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui », déclare finalement Soljenitsyne, en 1978. Croyant en les forces traditionnelles de la vie, de l’art, de la réflexion et de la spiritualité qui permettent de « quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés », il espère un sursaut de l’Occident. Malheureusement, les choses n’ont fait que s’aggraver. Un demi-siècle plus tard, qui peut affirmer que les guerres qui nous sont faites, des revendications diversitaires à l’islamisme, ne risquent pas « d’enterrer définitivement la civilisation occidentale » ? 

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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