« L’environnement, ça commence à bien faire ! » La saillie de Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture 2010 aurait pu servir d’exergue à l’excellent documentaire rediffusé par France 2 en avril − sauf qu’il date de 2008. Mais qu’importe : non seulement cette enquête, intitulée Les Prêcheurs de l’Apocalypse, ne s’est pas biodégradée, mais elle nous en apprend de belles sur les dérives et les délires de l’Église d’Écologie, qui n’a jamais été aussi influente dans notre Occident décadent.
Sous la houlette de Françoise Castro, productrice, Jérôme Lambert et Philippe Picard retracent les glissements progressifs de l’écologie, qui fut une science avant de devenir une idéologie, puis une nouvelle foi dans l’Ouest. Une foi dont le fondamentalisme, avec ses superstitions et ses tabous, constitue désormais une menace pour l’avenir de l’humanité – à commencer par la sécurité alimentaire mondiale.[access capability= »lire_inedits »]
La planète, c’est nous !
Pour autant, ce documentaire ne semble pas avoir été sponsorisé par je ne sais quelle multinationale polluante, voire transgénique. À les en croire, ses auteurs ne veulent que nous rappeler une évidence : « l’impératif écologique » doit lui-même impérativement être concilié avec l’impératif humain… Faute de quoi la planète sera sauvée, mais sans nous.
Qu’on se rassure : Picard et Lambert n’ont pas d’a priori contre la préservation de l’environnement. Simplement, ils s’interrogent sur cette vague verte qui submerge aujourd’hui le monde occidental : d’où vient-elle et, surtout, jusqu’où ira-t-elle ? Au-delà d’un unanimisme aussi récent que suspect, comment démêler dans la doxa écologiste le vrai du faux – et éviter ainsi des remèdes pires que les maux ?
Pour nous y aider, voici une patarafée de spécialistes, d’universitaires et de chercheurs. Magie du petit écran ! Ils sont venus, ils sont tous là, suisses et hollandais, responsables de l’ONU et de la FAO, étasuniens et antipodistes. Chacun nous éclaire de sa science – et tous nous mettent en garde contre le même péril : l’absurdité qui consisterait à sacrifier l’homme sur l’autel de son environnement. C’est pourtant ce qui risque de se passer si nous n’y prenons garde ! Même que ça a déjà commencé…
DDT contre malaria
Historiquement, la première victoire du lobby écologiste fut l’interdiction du DDT, par les États-Unis d’abord (1972) puis par tout ce qui compte dans la communauté internationale[1. 158 pays ont signé la Convention DDTéicide de Stockholm (2001)]. Et dès ce moment-là, souligne notre documentaire décidément engagé, « l’impératif écologique s’est opposé à l’impératif humain ».
En sa qualité d’insecticide, le DDT avait contribué à éradiquer complètement, chez nous, le paludisme ; pour les mêmes raisons, son interdiction a eu pour conséquence, entre autres, une importante recrudescence de la malaria en Afrique. À tel point qu’il fut décidé finalement − non sans débats, et à titre exceptionnel − de lever l’interdit sur le DDT dans les pays dont la survie en dépendait. Trop aimable.
C’est dans des moments comme ça qu’on se demande si, en fait de religion, l’écologisme occidental ne serait pas plutôt, comme le bouddhisme du même métal : un caprice de riche. Rien à voir, direz-vous ! De fait, la lévitation germanopratine n’a jamais tué personne.
À propos, vous la connaissez, celle des biocarburants ? C’est l’histoire des États-Unis et de l’Union Européenne qui ont décidé de les subventionner au nom de leur croisade commune contre le réchauffement climatique. Le gag, c’est que, pour un ou deux milliards d’hommes, « carburant vert » rime avec crise alimentaire.
Biocarburants ou tortillas ?
Trop souvent, on fabrique les carburants « propres » à partir de végétaux qui seraient propres aussi à l’alimentation humaine. L’anecdote drôle, ici, se situe en 2007 : avec l’essor des biocarburants, notamment aux États-Unis, le cours du maïs a tellement augmenté qu’on a eu des « émeutes de la faim » au Mexique, soudain privé de tortillas[2. Mais en fait, si on y réfléchit bien, la blague n’est drôle que parce que ce sont des Mexicains].
C’était le début de la crise alimentaire mondiale − qui, sans rire cette fois, ne fait que commencer. « L’Occident a la mémoire courte », ose le documentaire : notre propre développement s’est appuyé en grande partie sur cette « agriculture moderne » que nous mettons en accusation aujourd’hui. Avons-nous pour autant le droit d’en priver les pays pauvres ? Les Européens ne jurent plus que par l’agriculture biologique, fort bien ; mais ce modèle peut-il nourrir le monde ? « Bientôt, s’indigne un responsable de la FAO, 20 % de la production mondiale de maïs sera retiré de l’alimentation. C’est une folie ! »
En 2050, on sera quand même neuf milliards (enfin, vous). Pour nourrir tout ce petit monde, il faudra augmenter d’au moins 50 % la production alimentaire mondiale – sans pouvoir étendre à proportion la surface des terres cultivables, et en limitant bien sûr l’usage de l’eau – qui risque de manquer en Afrique avant même qu’il y fasse trop chaud.
Comme le résume fort à propos le Dr Guillet, de l’OMS, c’est très bien de vouloir nous protéger, fût-ce à tout hasard ; encore faut-il prendre en considération d’autres populations, qui ont peut-être d’autres priorités que le CO2. Accessoirement, prévient le bonhomme, à la manière d’un Raspail, « si on ne s’occupe pas de ces gens-là, un jour ou l’autre, ils s’occuperont de nous ! »
Qui craint les grands méchants OGM ?
Plus diplomatiquement, disons que l’altruisme peut n’être qu’un égoïsme bien pensé. Pour assurer la sécurité alimentaire aux pays pauvres – c’est à dire la paix chez nous ! –, faisons donc proprement notre boulot de pays surdéveloppés : progressons en matière de biotechnologies ! Sans offenser Dieu, « créons », par croisement et sélection des espèces, des plantes toujours plus résistantes – notamment face aux changements climatiques tant redoutés.
Le problème, c’est qu’on a peur aussi des OGM[3. Moi c’est l’aspartame, et aussi mes deux portables]. Pourtant, observe le Pr Axel Kahn, le génie génétique fait déjà partie de notre vie : un nombre toujours croissant de nos médicaments sont des OGM, sans que personne n’appelle à les boycotter. Et qui songerait à interdire l’insuline aux diabétiques ?
Alors, au nom de quoi bloquer la recherche en matière de plantes transgéniques ? Et si, demain, elles s’avéraient indispensables pour contribuer à nourrir la planète ? Or, depuis vingt ans, la recherche en biotechnologie piétine, s’inquiète Guy Riba de l’INRA. « Le seul résultat, ajoute-t-il avec une ironie amère (à moins que ce ne soit l’inverse), aura été de renforcer les multinationales du secteur. » Bové, Monsanto, même combat ? Sans aller jusque-là, les responsables et porte-parole divers des pays pauvres, notamment africains, semblent passablement horripilés par l’obnubilation écologiste en vogue chez nous, les ravis de la couche.
Bon sens et mauvaises fois
« Entre le DDT et les OGM, qu’est-ce qui est le plus anti-écologique ? » persifle le président de l’Association des producteurs de coton africains. Abdoulaye Wade, président du Sénégal, préfère dramatiser – avec des accents de populisme panafricain qui ne mangent pas de pain, si j’ose dire : « L’Afrique a faim, et vous lui dites de se serrer la ceinture !, balance-t-il à la tribune de la FAO… Je reviendrai peut être vous demander la ceinture ! »
Au-delà du spectacle, le résumé de la situation par le président Wade[4. Et non pas Le Président et Miss Wade.] n’est pas faux. Chez nous, observe Axel Kahn, les OGM sont devenus l’enjeu d’un débat quasi théologique : on doit être pour ou contre – de préférence contre. Mais il ne suffit pas d’avoir choisi le bon camp ; encore faut-il s’y tenir strictement, sous peine d’être traité d’hérétique. Apparemment, Axel Kahn sait de quoi il parle.
En France, les gouvernements successifs ont toujours hésité à adopter, dans cette affaire, une position tranchée ; mais leurs décisions cumulées aboutissent à une interdiction de fait des OGM par précaution (de principe). Absurde autant qu’hypocrite ! s’énerve Guy Riba. Si vraiment les OGM présentent un risque pour la santé publique, alors il faut interdire non seulement leur production, mais leur importation : « 70 % des produits transformés chez nous dérivent de produits transgéniques… Un peu de cohérence ! »
Du risque zéro à la politique zéro
Mais le principe de précaution ne s’embarrasse pas de ce genre de détails : De minimis non curat praetor ! Il a désormais les moyens de sa politique : inscrit dans notre Constitution depuis 2005, il peut conduire demain n’importe quel le pouvoir à interdire n’importe quelle innovation scientifique ou technique au nom de n’importe quel « risque potentiel ». Or, comme chacun sait, le risque zéro n’existe pas. Ça me rappelle l’histoire du sourd : « Si je m’écoutais, je ne ferais jamais rien ! »
Bien sûr, il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas de conneries… Sauf quand ne rien faire est la pire des conneries. Et lorsqu’il s’agit d’agir, c’est-à-dire de trancher, la prise de risque peut s’avérer nécessaire, euphémise le biologiste Pierre Joliot-Curie, professeur au Collège de France – avant d’illustrer joliment sa pensée : « Vu les conditions dans lesquelles Pasteur a fait ses premières vaccinations, aujourd’hui il irait directement en prison. »
La science, hier solution à tous nos problèmes – y compris métaphysiques – est devenue la cause de tous nos maux. Sic transit Chicago authority, comme disaient à peu près nos Anciens. Reste que ce néo-obscurantisme est parfaitement aberrant : sans l’aide de la science, nous ne parviendrons à sauver ni la planète, ni les humains qui, jusqu’à présent, l’habitent. Plus précisément, avertit le Pr Ingo Potrykus (mais oui), biologiste zurichois : « Si nous n’utilisons pas tous les moyens technologiques à notre disposition pour augmenter la production agricole mondiale, nous allons au-devant d’une catastrophe majeure. »
Pompidou, toujours vert !
« Gouverner, c’est choisir entre deux inconvénients », disait le regretté Georges Pompidou[5. Dans une interview (re)diffusée chez Taddeï, le 12 avril, au cours d’une « soirée Pompidou » comme on aimerait en voir plus souvent]. « Inventeur », en 1971, du ministère de l’Environnement, il lui fixait comme objectif d’« organiser le progrès économique d’une manière compatible avec le respect de l’environnement ». Et non pas l’inverse parce que, ajoutait-il avec sa lueur malicieuse dans l’œil, « de toute façon, vous savez, on n’arrête pas le progrès ! »
Brève de comptoir, ou réflexion de chef d’État ? Les deux, mon bougnat ! En fait de présidents de la République, je tiens même que c’est sa mort à lui qui a arrêté le progrès. Mais c’est le pompidolien historique qui parle ici – pas le chroniqueur subtil et pondéré auquel je vous ai habitués. À mes yeux, Pompidou faisait mieux que tous les autres, De Gaulle compris, le départ entre sa personne et sa fonction. C’est d’ailleurs à son propos que Marie-France Garaud[6. Toujours dans le nunéro du 12 avril de « Ce soir ou jamais ! » consacré à Georges Pompidou, après la diffusion du téléfilm Mort d’un président] cite Giscard, pour le contredire bien sûr : « Le président de la République n’est pas un homme comme les autres, tout simplement parce qu’il a la responsabilité des autres ! »
J’aime l’intransigeance courtoise de cette dame – au point de me demander si mon pompidolisme ne serait pas en fait un garaudisme. Il est vrai aussi que Mme Garaud présente l’avantage d’être toujours là – et même plus souvent qu’avant, grâce à Taddeï en particulier.
Utopie irresponsable, ou pessimisme actif ?
Vous me direz : quel rapport avec la choucroute verte ? Mais l’exercice du pouvoir tout simplement, et les responsabilités qu’il impose. Il y a sur cette question essentielle un fossé entre l’irénisme écologiste et le pessimisme actif qui doit guider tout gouvernant – chargé d’éviter le pire plutôt (ou plus tôt) que de se lancer pour la énième fois dans la difficile édification du « meilleur des mondes »[7. Voir par ex., à ce sujet, le XXe siècle].
C’est quand même aux politiques − nom d’un petit bonhomme en bois vert ! − qu’il appartient de veiller aux intérêts du pays et aux besoins du peuple. Sans parler de la nécessaire concertation entre nations sur les sujets d’intérêt commun – et Dieu sait que la sécurité mondiale en est un !
C’est même la raison pour laquelle, au nom de l’intérêt supérieur de tout le monde, j’ai l’honneur d’exiger par la présente la séparation immédiate de l’Église d’Écologie et de l’État.[/access]
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