Dans un célèbre entretien paru en 1977, Philip K. Dick, l’un des plus grands noms de la littérature de science-fiction, déplorait que ce genre soit encore plus mal considéré que le polar et réservé à des adolescents aux tendances autistes, enfermés dans des univers imaginaires. On admet pourtant aujourd’hui, sans même se référer aux grands anciens comme Orwell ou Huxley, que cette littérature est éminemment politique, et qu’elle sait à l’occasion se transformer en une redoutable arme de critique sociale, offrant à ses afficionados des analyses très fines sur notre monde en proie à des contradictions toujours plus grandes.
Aussi recommandera-t-on vivement Rien ne nous survivra, de Maïa Mazaurette, jeune femme qui propose un point de vue original sur l’effondrement de notre société et ses causes. L’histoire se déroule dans un futur proche, post-apocalyptique, au cœur d’un Paris dévasté. Que s’est-il passé au juste ? Guerres ethniques ? Révoltes de la misère ? Attentats à la bombe sale ? Alors que notre époque voit le retour des grandes peurs, les scénarios-catastrophe, atrocement vraisemblables, ne manquent pas.
Eh bien, rien de tout cela ! Ce qui a complètement ravagé le monde, ou tout au moins, ici, la société française, c’est une révolte de la jeunesse, c’est-à-dire des moins de 25 ans qui ont pris les armes et commencé à exterminer tous les vieux dans un « gérontocide » d’une sauvagerie inouïe.[access capability= »lire_inedits »]
Les vieux qui ont survécu se sont réfugiés au nord de la capitale, où ils ont organisé leur défense, tandis les jeunes tiennent le sud. Maïa Mazaurette fait progresser son histoire sur plusieurs plans narratifs habilement mêlés : il y a d’abord les histoires de Silence et de L’Immortel, deux snipers du camp des jeunes qui sont engagés dans un affrontement à mort sur les toits de Paris. Mais il y a aussi les fragments appelés « Théorie », qui rythment le livre et donnent un éclairage latéral sur les origines de cette guerre des âges.
Le propos romanesque de Maïa Mazaurette rejoint ainsi l’analyse de François Ricard dans La Génération lyrique, celle de Louis Chauvel dans Le Choc des générations, ou encore celle de Gilles Châtelet qui, dans Vivre et penser comme des porcs, analysait le calibrage marchand des « cybergédéons » et des « turbobécassines ».
C’est la confiscation du pouvoir par la génération issue de 1968 qui est ici explicitement dénoncée, ainsi que la précarisation dans laquelle, par ricochet, se sont retrouvés les enfants et les petits-enfants de baby-boomers qui ne voulaient rien lâcher. Du coup, « il est crucial d’exterminer en premier lieu les quinquagénaires et sexagénaires − et, à travers eux, la génération 68 à fort pouvoir politique et parental. Nos parents nous ont appris très tôt que rêver ne sert à rien. Ils n’avaient foi en rien et nous ont enfantés quand même. »
Voilà un programme on ne peut plus clair…[/access]
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