Il n’y a pas plus plus français que la forme courte, la maxime, l’aphorisme. Snipers du sens, miliciens de l’écriture sporadique, les auteurs de ces tirs dans la nuit sont des manières de héros. Ils sont comme des soldats isolés, laissés dans les ruines d’une ville conquise depuis longtemps par la Bêtise. Ils se battent à un contre cent alors qu’il ne leur reste plus que quelques cartouches. Mais leur précision est telle qu’elle foudroie à chaque fois. La cible est touchée en plein cœur ou en pleine tête, ces deux points stratégiques repérés par tout moraliste conséquent. Ils ont pour nom La Rochefoucauld, archétype de l’écrivain classique, mais aussi, moins attendu, Scutenaire, surréaliste belge inconnu, sauf du regretté Frédéric Dard qui l’aimait beaucoup et le citait souvent. Scutenaire qui dynamita les bonnes mœurs toute sa vie avec Mes Inscriptions : « Mon pays est profondément divisé : d’un côté il y a mes compatriotes et de l’autre moi », écrivait-il notamment pour souligner son anarchisme irréductible.
[access capability= »lire_inedits »]On retrouvera tout ce joli monde, cette société de subversifs qui traversent le temps, dans Maximes et autres pensées remarquables des moralistes français, une anthologie réalisée par François Dufay. Mort en 2009, à 46 ans alors qu’il dirigeait les pages littéraires de L’Express, François Dufay, ancien normalien, avait réalisé ce travail davantage comme un témoignage de son amour pour le français comme arme de guerre, comme mécanique de précision que dans un quelconque et desséchant souci d’exhaustivité universitaire.
Il a donné sa chance au goût, ce qui transforme son anthologie en livre de chevet ou, mieux encore, en livre de poche au sens premier du terme. On ne sera plus jamais seul avec le Dufay, qu’on ne vous demandera pas de laisser derrière vous quand vous passerez les portiques de sécurité alors que vous aurez un véritable concentré de plutonium littéraire et philosophique à portée de main.
Vous trouverez évidemment beaucoup d’auteurs du XVIIe ici, le gros des forces étant représenté par Pascal, le janséniste aux yeux las : « Il faut aimer Dieu et ne haïr que soi » ; La Rochefoucauld, le frondeur défiguré qui poursuit sa guerre dans les salons : « Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer », ou encore l’aimable et féroce La Bruyère : « Qu’il est difficile d’être content de quelqu’un ! »
On remarquera, à l’autre bout du prisme des siècles, l’importance accordée par François Dufay à ces réactionnaires trop oubliés qui ont su écrire le français comme on ne saura plus jamais le faire, un français de l’Atlantide, une langue presque morte. Qui se souvient ainsi de Jouhandeau, de Chardonne, et même de Montherlant, pourtant indispensables à qui veut prendre des leçons de ce pessimisme hautain qui est une jolie façon, surtout de nos jours, de garder la tête haute ?
Il n’y a qu’une seule femme présente dans ce florilège. Est-ce un sacrifice de Dufay au politiquement correct ? Même pas, puisque cette femme, Christine de Suède est une reine, ce qui signifie qu’elle n’a plus de sexe et écrit à la hauteur de sa charge : « L’unique secret de n’être pas trompé, c’est de croire peu et de travailler beaucoup. Encore ne suffit-il pas. »
Quand on vous dit que ces gens et ceux qui les aiment sont décidément infréquentables…
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