Tout accusé ayant le droit à un avocat, je vais me coller à la défense de Guillaume Pepy et son compère Jacques Rapoport, respectivement présidents de la SNCF et de Réseau ferré de France. Je sais, la cause paraît perdue d’avance mais laissez moi une chance. D’accord, on ne va pas les décorer. Cette affaire de TER trop larges pour les gares et les voies auxquelles ils sont destinés fait penser aux blagues soviétiques sur le plan quinquennal. On imagine des bureaucraties gigantesques et absurdes, exclusivement vouées à leur propre reproduction : dans le concours national d’épithètes qui a fait fureur toute la journée d’hier, « kafkaïen » et « ubuesque » sont arrivés largement en tête. Après « consternant », « atterrant » et « rocambolesque ».
Il faut dire que c’est une sacrée bévue et une bévue à 50 briques minimum peut-être à 300, si on en croit le secrétaire d’Etat aux Transports Frédéric Cuvillier. Au final, bien sûr, la facture sera pour nous.
Pas de quoi pavoiser, donc. N’empêche, le spectacle d’un pays entier communiant dans la dénonciation de quelques-uns est déplaisant, voire terrifiant. À l’unisson de la hargne qui se lâche sur les réseaux dits sociaux, journalistes et politiques chassent en meute, conjuguant joie mauvaise et bonne conscience, comme si les échecs de quelques-uns prouvaient la réussite de tous les autres. C’est pas nous qui aurions commis pareille bourde, n’est-ce pas ? Tous irréprochables !
Bien sûr, non seulement l’erreur est humaine mais elle est seulement humaine. Derrière ce loupé magistral, il y a nécessairement des individus qui ont failli et on suppose qu’ils devront répondre de leurs négligences ou de leur incurie. Au passage, il faudrait cesser de déplorer les effets quand on chérit les causes. Au-delà des défaillances personnelles, il est difficile de ne pas incriminer la drôle d’organisation du transport ferroviaire exigée par l’UE au nom de la concurrence : les trains et les gares pour la SNCF, les voies et les quais pour RFF. Et bien sûr, une guerre de tranchées entre les deux entités.
En attendant, depuis hier, c’est l’union sacrée. De la droite et de la gauche, du peuple et des élites, des rédactions et des bistrots, monte la même clameur : il faut que des têtes tombent. Un coupable, vite ! Et même deux. Certains, comme Jean-Christophe Cambadélis ou la rapporteuse socialiste du budget Valérie Rabault réclament à mots à peine couverts la démission des deux présidents. Les journalistes font chorus, entamant l’habituelle ritournelle : dans un autre pays, ils auraient démissionné sur le champ. Peut-être. Il est vrai que dans les autres pays, ils n’ont pas la chance d’avoir des journalistes, des élus et des patrons infaillibles comme les nôtres. Ce n’est pas en France que des patrons partiraient avec des parachutes dorés après avoir emmené leur entreprise dans le mur ou que des journalistes feraient de brillantes carrières après avoir été convaincus de plagiat ou de bidonnage. Le pouvoir implique la responsabilité et nous, nous sommes intraitables sur la responsabilité. Surtout celle des autres. Et pas question de sanctionner des lampistes : un chef digne de ce nom doit assumer les ratages de ses subordonnés. Si un ministre ou un conseiller du Président commettait une faute, par exemple en se faisant pincer en flagrant délit de fraude fiscale, vous pensez bien que le Président démissionnerait immédiatement. Heureusement que chez nous, des choses pareilles ne peuvent pas arriver.
*Photo : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA. 00667142_000039.
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