Le rapport Spinetta, qui préfigure la réforme de la SNCF voulue par le gouvernement, est l’oeuvre d’élites qui semblent totalement déconnectées de la France des gares et des trains de région.
J’avais 5 ans, mon grand-père conduisait des tramways à Marseille, il me faisait parfois monter avec lui, j’étais le roi du monde.
Alors, j’ai voulu devenir conducteur de locomotives. Je ne saisissais pas, à cette époque, ce qu’il peut y avoir de sexualité précoce dans un tel choix.
Mes parents n’étaient pas riches, les modèles réduits coûtaient déjà les yeux de la tête, mais ils m’ont quand même offert une locomotive Pacific — celle sur laquelle Honegger a composé une si belle chose, que Jean Mitry a mise en images…
C’est à peu près à cette époque que j’ai lu, l’un après l’autre, les albums de Tintin. Par exemple, le Temple du soleil, où le capitaine et le reporter prennent un train invraisemblable (mais qui existe) quelque part dans les Andes…
Alors, j’ai soumis ma locomotive et les trois wagons qui composaient toute ma ligne à de sidérantes prestations, gravissant — et sans crémaillère — des montagnes de livres, avant de finir dans quelque précipice habité de piranhas (au moins) et de caïmans (au pire).
Puis j’ai lu la Bête humaine. J’ai même vu le film de Renoir — et je me suis pris pour Gabin.
Mais j’avais compris, avant ça, à quel point le train participe de l’imaginaire érotique. Je l’avais compris vers 12 ans, quand ma mère, qui adorait Gary Cooper, m’amena voir Love in the afternoon — où dans la dernière séquence, Cooper hisse Audrey Hepburn jusqu’à lui, sur le Mistral qui les emporte en Provence. Je l’avais compris vers 13 ans, quand ma mère, qui adorait Cary Grant, m’emmena voir North by Northwest. Et à la dernière image, quand le héros se couche sur la blonde héroïne (Eva Marie Saint, froidement hitchcockienne — sublime), le Code Hays imposa à Hitchcock de couper — ce qu’il fit magistralement, en montrant une pénétration géante et définitive.
Sans compter la geste héroïque des cheminots pendant la guerre, que raconte très bien The Train, de John Frankenheimer. Et là, je me suis pris pour Burt Lancaster.
Ça, c’est la réalité du train dans l’imaginaire. Qu’est-ce qu’un technocrate auquel on a greffé une calculatrice à la place du cœur peut y comprendre ?
Son temps, c’est de l’argent. Le mien, c’est de la poésie.
Mais j’ai pris une foultitude de trains — de vrais trains. Des grands et des petits. Des TGV et des TER. Des Micheline, des trains jaunes dans le Conflent, des trains rouges en Corse. L’un des plus beaux — c’était il y a deux mois —, ce fut entre Toulouse et Clermont-Ferrand. Il y en a cinq par jour, le voyage dure plus de 8 heures, avec deux ou trois changements. On a le temps de musarder dans le Massif Central. Saint-Sulpice, L’Isle-sur-tarn, Gaillac, Cordes-Vintrac, Lexos (un nom d’île grecque !), Laguéoie, Najac, Villefranche-de-Rouergue, Salles-Curbatiers, Capdenac, Figeac, Bagnac, Maurs, Le Rouget, Aurillac, Vic-sur-Cère, Le Lioran, Murat, Neussargues, Massiac-Blesle, Arvant, Brassac-les-Mines (fermées depuis 1978 par un énarque de l’époque), Issoire (chantée par Jules Romains dans les Copains), Clermont-Ferrand enfin. La grande diagonale du vide, comme disent les amateurs de portables, la grande diagonale du paysage hexagonal, diront les amateurs de France périphérique.
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Qu’est-ce que Jean-Cyril Spinetta connaît à cette France-là ? Qu’est-ce qu’un énarque, qui fut l’un des patrons les mieux payés de France, peut imaginer d’un tel voyage ? Son temps, c’est de l’argent. Le mien, c’est de la poésie.
L’Angleterre, le rêve thatcherien de Spinetta
Le modèle évident du gouvernement, c’est Thatcher. Le modèle que l’on voudrait nous imposer, c’est le rail britannique — qui déraille. Retards incessants, hausse vertigineuse des prix : « Selon des estimations du Labour, écrit Sasha Mitchell dans la Tribune, s’appuyant sur une étude de The Independent, le prix des billets annuels a ainsi augmenté de 27% depuis 2010. Après avoir comparé les prix de 200 lignes, le parti emmené par Jeremy Corbyn, militant de la renationalisation, estime à 2.788 livres (3.222 euros) le coût du pass, soit 594 livres (686 euros) de plus qu’en 2010. Pas mieux, pour le syndicat TUC, selon lequel le prix moyen des billets de train augmente deux fois plus vite que l’inflation. Résultat, les Britanniques déboursent chaque mois six fois plus que les Français simplement pour se rendre sur leur lieu de travail. 14% de leur revenu mensuel, très exactement, contre 2% pour les usagers de l’Hexagone. »
Evidemment, cet argent va dans des poches — pas celles des usagers, pas celles des contribuables.
Un rêve, doit penser Spinetta. Pour lui et ses copains. Pour la petite poignée d’oligarques qui dirigent aujourd’hui l’Europe. « L’économie liée à la fermeture des petites lignes pour le système s’élèverait a minima à 1,2 milliard d’euros annuels (500 millions d’euros sur l’infrastructure et 700 millions sur l’exploitation des trains) ». Le Huffington Post a clairement posé les termes du débat. Comme le montre…
>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<
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