Régis de Castelnau a raison de dénoncer avec un certain lyrisme les apories et inconséquences de l’actuel pouvoir; mais il manque sa cible, il pèche (au sens littéral du terme, le mot pêché venant de l’ancien grec harmartia, qui était le terme utilisé pour les archers qui manquaient leur cible) par excès de simplification, en fantasmant certains aspects de la réforme(ette ?) de la SNCF pour mieux défendre (et comment ne pas le rejoindre ?) l’âge d’or des cheminots.
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Ce dernier est indéniable, mais il appartient au passé, à un temps de pénibilité extrême. Puisque Régis de Castelnau invoque Péguy à l’appui (il y a dans le gouvernement technocratique actuel un peu de ce Renan que Péguy a définitivement annihilé dans ses Cahiers…), je le citerais moi aussi par passion pour ce monument de notre pensée : « Il y a quelques chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite ».
La SNCF, un tonneau des danaïdes
Or, force est de constater qu’avec mon regard peut être trop froid d’entrepreneur, Emmanuel Macron n’entame pas de vraie réforme de la SNCF (ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas le soutenir dans ces quelques velléités sur le sujet, car il faut bien préparer la voie à ce prochain pouvoir vraiment réformateur et citoyen que nous appelons tous de nos vœux). Le gouvernement a d’ailleurs écarté la vraie proposition intelligente du rapport Spinetta, à savoir la transformation de la SNCF en société anonyme SA. Cette seule reforme aurait permis ipso facto de moderniser le statut de l’entreprise sans coup férir. Afin d’éviter l’ire des syndicats, le Premier ministre Edouard Philippe s’en est tenu à une « société nationale à capitaux publics » (sic) : un joli concept technocratique (vous avez raison de rappeler la vraie nature de ce pouvoir, qui s’apparente à une réaction nobiliaire technocratique avec une génération jeune turc…) qui va cependant permettre de commencer à moderniser la SNCF.
Car je suis au regret de vous annoncer que, au niveau économique et financier, cette société est au bord de l’abîme. Elle génère bon an mal an 4 milliards d’euros d’excèdent brut d’exploitation pour une dette, qui s’accroît, de… 47 milliards. Aucune autre société équivalente n’a une dette représentant 12 fois son excédent brut d’exploitation. Cela n’a été possible que grâce à la garantie de l’Etat : un Etat qui lui-même ne brille pas par l’excellente situation de ses finances publiques. Avec ce filet de sécurité, cette garantie étatique, la SNCF a pu se permettre toutes les gabegies et tous les excès. Il est temps de revenir à un minimum de rationalité économique.
Les cheminots ne disparaîtront pas de sitôt
S’agissant du statut des cheminots, il ne va pas disparaître de sitôt. Seuls les nouveaux embauchés ne profiteront plus du statut du cheminot, ce qui est plus symbolique qu’autre chose: en effet, 1) la SNCF embauche peu 2) elle recrute surtout des contractuels dans des fonctions bien différentes de celles des cheminots. Les cheminots actuels, eux, garderont leur statut, et vous aurez encore l’occasion d’encenser vos camarades cheminots (le romantisme du vocabulaire marxisme aidant) jusqu’en 2060 date d’extinction naturelle du statut.
Vous avez raison de signaler le risque afférent à la disparition des petites lignes: mais la pusillanimité du gouvernement actuel en matière de réformes l’a d’ores et déjà conduit à abandonner cette idée. Je voudrais cependant soumettre à votre sagacité l’idée suivante: ces petites lignes ne sont pas rentables économiquement pour la SNCF, mammouth colossal aux frais centraux énormes. Mais nombre d’entre elles pourraient être opérées par de petits acteurs indépendants. Les entrepreneurs ont plus de ressources et d’imagination que l’Etat en la matière.
Le romantisme a vécu
En incriminant Bruxelles sur cette réforme, vous attribuez peut être trop de pouvoir à l’Europe. Mais vous avez parfaitement raison sur les grandes lignes du pouvoir actuel, qui applique mécaniquement et surtout naïvement les rapports de Bruxelles et du FMI, avec peu de chances d’avoir de vrais succès économiques de long terme (voir l’exemple de l’Italie de Renzi), sur le droit du travail, la flexisécurite, la formation…
Ne faisons pas de la pseudo réforme de la SNCF un totem romantique pour lutter contre le gouvernement : il y a bien d’autres dossiers qui réclament toute notre énergie !
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