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SNCF: l’adieu aux petites lignes ou le désenchantement de la France

Au nom de la rentabilité, le rapport Spinetta veut fermer les lignes les moins fréquentées


SNCF: l’adieu aux petites lignes ou le désenchantement de la France
Gare de Montfort-L'Amaury-Méré, en Île de France, décembre 2017. SIPA. 00837817_000001

Au nom de la rentabilité, le rapport Spinetta veut fermer les lignes les moins fréquentées. C’est l’identité de la France qui est menacée.


Vous vous souvenez peut-être du poème d’Aragon, Le conscrit au cent villages, écrit pendant la Résistance pour célébrer le départ des jeunes combattants pour le maquis :

J’emmène avec moi le refrain
De cent noms dits par tout le monde
Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud
Fains-la-Folie Aumur Andance
Guillaume-Peyrouse Escarmin
Dancevoir Parmilieu Parmain
Linthes-Pleurs Caresse Abondance.

Gare à Spinetta

Je ne sais pas s’il y a une gare à Volmerange ou Caresse et si c’est encore le cas, il y a de fortes chances que bientôt, il n’y en ait plus, pour peu que le gouvernement suive les recommandations du rapport Spinetta sur l’avenir de la SNCF. Toutes ces gares ressembleront désormais à l’ancienne gare de Cahors évoquée par un autre poète, Valery Larbaud :

Tu étends au soleil des collines ton quai vide
(Ce quai qu’autrefois balayait
La robe d’air tourbillonnant des grands express)
Ton quai silencieux au bord d’une prairie,
Avec les portes toujours fermées de tes salles d’attente,
Dont la chaleur de l’été craquelle les volets…

Il n’y a pas que les cheminots qui risquent de perdre leur statut, ce statut qu’on s’obstine à confondre avec un privilège alors qu’il est le résultat de luttes sociales. Et que plutôt de l’envier, on pourrait désirer que d’autres salariés en bénéficient, parce que l’égalité, cette fameuse égalité, il n’y a aucune raison de la confondre avec un nivellement par le bas, à moins de croire la propagande sans aucune retenue des médias ces temps-ci.

Non, nous allons, nous tous, perdre aussi des noms. Ces noms si français qui pour le coup, eux, forment la véritable identité française avec leur syllabes rêveuses qui n’excluent personne au nom du sang, de la religion ou de la couleur de la peau.

Douce France, trop cher pays de mon enfance ?

J’ai eu la chance, dans ma vie d’écrivain un peu nomade, de prendre ces petites lignes improbables et j’ai souvent noté sur un carnet ces noms qui à eux seuls forment un poème. Par exemple, entre Limoges et Ussel, quand les rails épousent les contours de la Vienne : Saint-Priest-Taurion, Brignac, St-Léonard-de-Noblat et son viaduc, St-Denis-des-Murs, Chateauneuf-Bujaleuf, Eymoutiers-Lac de Vassivière, La Celle-Corrèze, Bugeat, Perols, Jassonneix, Meymac-Ussel.

Perdre une petite ligne, pour certains, c’est jouer sur une variable d’ajustement, pour d’autres, c’est perdre des noms, répétons-le, des noms, c’est-à-dire des paysages, une certaine manière de tutoyer la forêt et l’horizon au rythme de ce qu’on appelait jadis du joli nom de Micheline. Je me souviens aussi de la ligne la plus lente que j’ai connue, qui m’a fait passer du Puy de Dôme aux forêts de la Haute Corrèze en allant de Clermont-Ferrand à Brive-la-Gaillarde.

Ecoutez plutôt, fermez les yeux, vous êtes en France : Royat-Chamallières, Durtol-Nohannent, Volvic, Charbonnières-les-Varennes, La Miouze-Rochefort, Laqueuille, Bourg-Lastic-Messeix, Eygurande, Ussel, Meymac, Maussac, Egletons, Rosiers d’Egletons, Montaignac, La Montane, Corrèze, Tulle, Cornil, Aubazine-Saint-Hilaire, Malemort-sur-Corrèze, Brive.

A chaque arrêt ou presque, dans les petites gares au bas de collines qui s’éclairaient au soleil couchant, on pouvait voir des plaques aux cheminots fusillés. Parfois le chauffeur de la voiture descendait et fumait une cigarette pour discuter avec un contrôleur: ils attendaient un couple de personnes âgées qui venait de passer le dimanche chez les enfants et rentrait deux stations plus loin.

Pas rentable, tout ça ! Vous imaginez, près de quatre heures pour faire deux cents kilomètres et en guise de voyageurs quelques vieux, quelques lycéens rentrant dans leurs internats. Non, vraiment ça ne pouvait pas durer.

Un service public doit-il être rentable ?

J’ai quand même gardé le billet. C’était en 2010 ou 2011. Je me disais déjà que si les choses devaient mal tourner, il aura existé encore dans ce pays un service public qui permettait de se rendre un dimanche d’une ville à une autre en train selon un itinéraire hautement improbable mais tellement agréable.

Bien sûr,  dans les débats qui vont commencer, les conflits peut-être, il sera question de rentabilité. Est-ce qu’un service public doit-être rentable ou avant tout… rendre service ?  Il sera aussi question du rôle de l’Etat qui, à force de se recentrer sur ses « missions régaliennes », laissera des opérateurs privés permettre le grand bond en avant libéral et mettre enfin nos chemins de fer au niveau de ceux de la Grande-Bretagne que le monde entier lui envie. Il sera sans doute aussi question, mais moins, d’écologie. Remplacer des trains par des bus quand on se vante d’être, à chaque COP, les champions de la lutte contre les émissions de CO2 ne manquera pas de sel (ou de plomb).

Mais il sera beaucoup moins question, soyons en certain, de l’effet secondaire le plus profondément désespérant du libéralisme : un certain désenchantement du monde.

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