Alors que j’aimais beaucoup Yves Calvi à ses débuts, j’ai tendance à le zapper depuis plusieurs années. Au départ, « C dans l’air », était une émission politique amusante, impulsée par un zébulon goguenard, populiste et jusqu’au-boutiste, qui n’hésitait pas à reposer six fois sa question à ses quatre invités, dans l’espoir qu’un des débatteurs daigne y apporter une réponse claire et argumentée.
Au fil des années, hélas, le show s’est figé :
– Invités tellement récurrents qu’on a souvent des impressions de rediff’.
– Débat en pilotage automatique : avec un peu d’entraînement on peut, dès qu’on a connaissance du plateau, joue les Madame Irma et prévoir ce que vont dire chacun de nos experts et comment ils vont le dire.
– Reportages indigents débités sur un ton si mélodramatique qu’on soupçonne que le speaker qui les commente perd jour après jour un membre de sa famille.
– Et last de la liste, but not least : conception souvent curieuse du pluralisme sur nombre de sujet chauds.
Ce dernier problème vaut qu’on s’y arrête. Je comprends bien que certaines questions fassent consensus sur le fond, et que les différences ne s’expriment qu’à la marge. Ainsi, j’admettrais volontiers que les débatteurs et l’animateur soient tous d’accord entre eux si la question du jour posée par Yves Calvi ou sa consœur du lundi Caroline Roux était du genre :
– Faut-il supprimer toutes les limitations de vitesse en ville ?
– Doit-on légaliser la maltraitance des petits chatons innocents sur YouTube ?
– La France doit-elle s’inspirer de la réforme des rythmes scolaires mise en œuvre au Nigéria par Boko Haram ?
Il se trouve malheureusement, qu’à 17h, sur France 5, l’unanimisme est trop souvent de rigueur. C’est notamment le cas quand on parle d’Europe, de populisme , ou de réchauffement climatique, mais pas que.
À preuve le toc show (© Basile de Koch) d’hier soir, où 100% des invités et 100% de Caroline Roux étaient d’accord pour décréter que la grève des cheminots n’avait aucune raison d’être, et que le chef de l’Etat et son Clémenceau Jr devaient tenir bon face à la CGT et SUD, sans quoi, c’était la République (et le bac philo) en danger.
Certes, il y avait des nuances entre les invités, qui en plus, étaient loin d’être des idiots du village. En vrai cette dernière affirmation vaut pour trois des invités, Christophe Barbier, Catherine Nay, ainsi que pour le subtil Claude Weill, représentant de la tendance old school du Nouvel Obs. J’ai en revanche beaucoup plus de doutes sur les compétences et le niveau du quatrième invité du jour le spécialiste Bernard Vivier, directeur de l’« Institut supérieur du travail » qui, quels que soient le sujet, la chaîne, ou l’émission, explique sans débander que la CFDT a toujours raison, et le Medef aussi. Avec des experts comme ça, on ne démasquerait pas beaucoup d’assassins à Manhattan ou à Miami.
N’empêche, qu’ils soient malins ou crétin, nos larrons ne variaient que sur les suggestions d’accompagnement. Ainsi, Claude Weill pensait qu’il fallait de la poigne face aux cheminots, mais de la compréhension pour les malheureux intermittents du spectacle. Méchant comme je suis, j’ai failli penser qu’une certaine gauche était plus attachée au Festival d’Avignon qu’aux luttes ouvrières.
Cela dit, je comprends parfaitement qu’on puisse, et que tu puisses, toi lecteur, être contrairement à moi, hostile à cette grève et donc en accord, total ou partiel avec la bande des quatre. Ce que je n’admets pas, c’est qu’on laisse entendre, dans une émission de service public, qu’un seul type d’opinion est légitime, et que les avis contraires sont donc illégitimes.
Imaginez un débat sur la grève de la SNCF où les quatre invités auraient été un représentant de la CGT, un autre de SUD, un dirigeant du Front de gauche et le responsable de la rubrique sociale de L’Huma. Vous auriez trouvez ça grotesque et moi aussi. En matière de pluralisme, c’est pourtant ce qu’on a vu hier soir.
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