Près d’une semaine qu’on ne parle que de ça. Le prétendu texto présidentiel. Il faut dire que le SMS, comme moyen de communication, ça va comme un gant à Nicolas Sarkozy qui trouve bien naturel de pianoter sur son portable en public, serait-il au Vatican. Enfin, ce n’est pas le sujet. Voilà une semaine, donc, que le supposé message publié sur le site du Nouvel Observateur alimente les conversations de bureau et répand la zizanie dans les rédactions. Est-ce un ragot, est-ce une info ? Sarko est-il fou ? Jaloux ? Peut-il déclencher la frappe nucléaire en tapotant sur son Nokia ? Cécilia ? Carla ?
Revanche de la démocratie, chacun, puissant ou misérable, anonyme ou célèbre, a pu y aller de ses certitudes de comptoir et de sa psychanalyse de bazar sur la supposée résilience dont aurait été frappé Nicolas Sarkozy avec la réconfortante conviction de s’intéresser à l’avenir du pays. Au passage, même en supposant que le texto maudit soit authentique, peut-être 60 millions de psychologues ont-ils commis un contresens majeur. Peut-être ont-ils entendu une supplique là où il fallait lire une menace : « Si tu reviens m‘enquiquiner, j’annule tous nos accords. » Ou alors, il s’agissait d’un tout bête arrangement de week-end ou de vacances comme en ont tous les parents divorcés : « Si tu reviens maintenant, j’annule la deuxième semaine de location à Palavas les Flots. » Va savoir.
Peu importe. Au bout de quelques jours, nous avions épuisé les charmes du SMS. Ces quelques mots avaient livré tous leurs secrets et permis à chacun de se forger une opinion parfaitement fondée sur la relation entre le chef de l’Etat et son ex-épouse. Le vrai débat pouvait avoir lieu. Fallait-il publier ? Oublier ? Les journalistes sont-ils des salauds ? Des héros ? Sommes-nous allés trop loin ? Avons-nous perdu notre âme ? On a bien cru, l’espace d’un instant, que la corporation allait se livrer, pour de bon, à un vaste examen de conscience. Qu’on se rassure. Comme disait l’autre, je suis dans le ruisseau, c’est la faute à Sarko. D’abord, c’est lui qui nous a refilé la came. Oui, celle que nous vous revendions à bon prix, chers lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Ce glamour à deux balles que nous méprisons tous et qui, mystérieusement, fait de bonnes ventes, cette exhibition bling-bling si peu conforme au bon goût dont nous nous targuons tous, c’est le président qui nous y a rendus accros. Oui, c’est lui qui a commencé. Nous pas responsables. Bon, d’accord, nous avons été faibles, un peu minables. Mais nous avons des circonstances atténuantes. Tout est de sa faute. Le dealer, c’est lui.
Il faut dire qu’il a aggravé son cas, le président. Perte de sang-froid caractérisée. Nous, on le comprend, même si, comme l’a finement remarqué Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo (dont il faut saluer l’excellente « une ») il aurait peut-être été plus adapté de mettre son poing dans la figure du journaliste concerné, genre ni vu-ni connu, une explication « entre hommes ». Mais attaquer un journaliste au pénal, vous n’y songez pas. On sent le parfum de la dictature. De quoi donner une attaque à Robert Ménard, le patron de Reporters Sans Frontières. Certes, nul ne pense que le journaliste du Nouvel Observateur va croupir en prison. Le plus probable est que cette procédure bancale n’ira pas à son terme. Mais, puisque, sur le papier, la possibilité d’une peine d’emprisonnement existe, profitons-en. Octroyons-nous, une fois encore, le grand frisson de la Résistance. No pasaran. Halte à la poutinisation ! (Il est clair que, dans la conjoncture politique actuelle, la mise au pas des médias est à l’ordre du jour).
Dans ces conditions, Carla Bruni a des excuses. D’abord, l’entretien qu’elle a accordé à L’Express est de bonne tenue, avec des mots grecs, de la hauteur de vue et de la modestie ainsi qu’il sied à une « première dame » – appliquée à la nouvelle élue (du cœur du président, pas des Français), cette expression désuète est un brin cocasse, non ? Passons. Venons-en à la gaffe, cette comparaison absurde, cette reductio ad hitlerum aurait pu dire notre belle helléniste. (Oui, oui, on sait, c’est du latin, mais agape, c’est du grec… et belle latiniste aurait été moins amusant). « A travers son site Internet, déclare Mme Nicolas Sarkozy, Le Nouvel Observateur a fait son entrée dans la presse people. Si ce genre de sites avait existé pendant la guerre, qu’en aurait-il été des dénonciations de juifs ? » La gaffe. Un peu plus et elle manifestait en scandant : SMS-SS ! En plus, balancer ça dans les dents du Nouvel Obs, fallait oser. Et pourtant, répétons-le, elle a des excuses. Après tout, il y a à peine trois mois, mademoiselle Bruni était au Zénith avec toute l’intelligentsia « antifasciste » pour protester contre l’amendement scélérat. Et on l’imagine volontiers défilant, non seulement pour Armani ou Prada, mais aussi contre les expulsions de sans-papiers que nombre de ses copains qualifient subtilement de déportations. Bref, elle s’est contentée de servir aux journalistes la référence qu’ils balancent régulièrement dans les gencives de ceux qui leur déplaisent, le genre « ça nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire ». Normal : culturellement, elle vient de leur monde. Elle fréquente peut-être la droite bling-bling, elle n’en est pas moins une enfant chérie de la gauche bobo.
Surtout, elle a présenté ses excuses. Futée, la première dame : au lieu de s’entêter, d’expliquer qu’elle a eu raison d’avoir tort, que c’est le Nouvel Obs qui a commencé, elle comprend qu’elle a dit une ânerie. Et hop, ni une, ni deux, elle demande pardon. L’incident est clos. Chapeau bas. Présenter ses excuses quand on a fait ou dit une connerie, fallait y penser. Certains journalistes feraient peut-être mieux d’en faire autant.
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