Redécouvrir Smooth Talk de Joyce Chopra, avec Laura Dern, en DVD. Une autre époque.
Fuyant le carcan familial (classe moyenne de la Caroline du Nord, ethniquement blanche à 100%), un trio de pétasses teenage décérébrées, en tenues légères, ongles (des pieds) peints, brushing, le tout orchestré pour l’entreprise de séduction, se mettent en chasse dans le mall avoisinant, mises en joie à l’idée d’y allumer franco les mâles pubères qui y traînent en meute après les heures de lycée.
Laura Dern délurée puis…
La plus ardente et délurée de la petite bande : Connie, 15 ans, en proie à d’incoercibles poussées libidinales qu’accusent, et sa frustration d’adolescente point encore déflorée, et les rapports tendus qu’elle entretient avec sa génitrice, femme au foyer bien intentionnée mais oppressante, et décidément mieux en phase avec la sœur cadette de Connie, plus soumise à la routine domestique.
Dans le rôle rebelle de Connie, la fraîche et future star Laura Dern (née en 1967, la comédienne n’a pas 18 ans au moment du tournage), immortalisée par la suite, comme l’on sait, par David Lynch grâce à Blue Velvet, Sailor et Lula, Inland Empire, Twin Peaks… En attendant, Smooth Talk mérite d’autant plus de se voir exhumé aujourd’hui par les soins de Carlotta Films, que cette « comédie dramatique », comme on dit, dresse une image de la féminité aux antipodes de la sanctification victimaire opérée de nos jours par les Torquemada du woke à l’endroit de la gente masculine. De fait, au moins dans la première partie du film, ce sont bel et bien les filles qui, à deux doigts du « passage à l’acte », « agressent » sexuellement les petits puceaux. Lesquels, en retour, partent battus d’avance dans leur drague maladroite ou lourdingue.
… sous « emprise »
Aujourd’hui âgée de 87 ans, la réalisatrice Joyce Chopra n’a jamais que deux longs métrages au compteur. Après l’échec commercial du second The Lemon Sisters, elle enchaînera les téléfilms et les séries américaines pur jus. Millésimé 1985, ce film inaugural échappe assez subtilement aux clichés d’époque sur la jeunesse débile et consumériste yankee : dans la seconde partie, les parents et leur seconde fille se sont barrés pour un barbecue chez des amis, festivité auquel Connie, particulièrement sur les nerfs, a décidé de se soustraire. La voilà donc laissée seule dans la maison isolée quand, dans le jardin, déboule au volant de son américaine décapotable tape-à-l’œil, flanqué d’un passager mutique, vaguement inquiétant avec son transistor rivé à l’oreille, ce garçon mystérieux, plus âgé que la moyenne, et qui lui tournait déjà autour – enjôleur, doucereux, hypnotique. « Arnold Friend » – c’est son nom, calligraphié même sur la carrosserie – parvient à arracher la demoiselle – passive paniquée, fascinée – à son home : aujourd’hui, on ne manquerait pas de la dire « sous emprise ». L’ami Arnold Friend l’entreprend avec beaucoup d’adresse, jusqu’à la persuader de « faire un tour » avec lui en caisse dans la cambrousse, tandis que le compère prend ses aises sur place, dans l’attente de leur retour, chose faite. Ce qui s’est passé dans les herbages restera hors champ. On peut parier qu’un tel « viol » ne souffrirait pas, en 2024, de se voir ainsi suggéré dans cette elliptique ambiguïté. Car en 2024, l’équivoque n’est plus de mise. Si la Femme est victime, il faut que l’Homme soit coupable ; il n’y a pas de prédatrice, il n’y a que des prédateurs. Adaptation talentueuse d’un texte de la prolifique Joyce Carol Oates, cette « conversation douce » murmure a contrario la dangereuse incertitude du désir.
Smooth Talk. Film de Joyce Chopra. Avec Laura Dern et Treat Williams. Etats-Unis, couleur, 1985. Durée : 1h31. Blu-Ray Carlotta Films (restauration 4K).
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